FESTIVALS SUBVENTIONNES EN PERIL

 

 

 

Entretien avec Mathius Shadow-Sky

 

INTERPHONE - Festivals, création, territoires : trois mots qui paraissent au premier abord correspondre à des dynamiques différentes, voire contradictoires… il suffit pourtant de se pencher un instant sur ces sujets pour comprendre que les paradoxes ne sont qu'apparents et peuvent même correspondre à une idée renouvelée des politiques culturelles publiques.
C'est l'ambition de cette rencontre : mettre en évidence le rôle des festivals comme lieux privilégiés pour la diffusion et la découverte des musiques d'aujourd'hui, et comme acteurs majeurs de la création et de la production sur les territoires.

MATHIUS SHADOW-SKY - Si vous pensez vraiment que les festivals sont les acteurs majeurs de la création, vous confondez diffusion publicitaire et pratique artistique. Ou, vous essayez de vous donner une bonne raison au fait que vous vous êtes trompé sur la politique culturelle du gouvernement et des collectivités locales qui est d'exploiter les artistes, les plier à son idéologie au lieu de soutenir leur travail libre dans leurs démarches, cela à travers la diffusion. Une vaste tromperie pour des personnes naïves qui ont cru au financement public des arts (pour l'accès libre du public) et dont je fais parti. Beaucoup de personnes sans vouloir le savoir travaillent pour la gloire du président élu.
La création est un long processus qu'un festival n'offre pas : le festival ne désire que l'oeuvre finie : diffusable, pas soutenir tout son processus de création. Un festival est une fête pour oublier les méfaits de la politique gouvernementale et autres financeurs qui achètent leurs espaces publicitaires à moindre prix. Dans ce sens, le festival trahit la démarche des artistes puisqu'il divertit. Le rôle de l'art n'est pas de divertir (faire oublier les soucis), mais de les résoudre en proposant d'autres « visions » du monde dans lequel nous vivons. Depuis la fin des années 70, je ne constate que le rassemblement de chapelles exclusives à la couleur institutionnelle qui comme les gouvernants ne se partagent les avantages acquis qu'entre eux. Les artistes indépendants et authentiques ont disparu des réseaux d'exploitation pour préserver leur authenticité et ne pas se vendre à la mascarade du gouvernement : qui ne finance que sa vitrine. Une idéologie politique peut-elle financer une liberté de création ? Si un gouvernement soutenait la liberté de tous, il se dissoudrait de lui-même par son inutilité.
Parler encore aujourd'hui de : « le risque de la création », c'est encore insulter ouvertement les artistes qui font un effort de recherche pour proposer des oeuvres originales. Le mot « risque » est apparu dans l'art quand Mitterrand a octroyé une somme colossale au nouveau ministère de la Culture. C'est à ce moment qu'est apparue la monnaie d'échange politique de « poids public d'un artiste » contre une subvention gouvernementale. Un artiste pour qu'il soit subventionné doit avoir un « poids public » suffisant pour que le subventionneur au pouvoir puisse être visible d'un maximum de monde (d'électeurs). Mais en quoi un véritable artiste a-t-il intérêt de rentrer dans le jeu du poids public ? Soit un artiste se penche sur son travail de création, soit il se penche sur sa carrière (sa visibilité médiatique qui lui permet de se vendre). Il ne peut pas faire soi-même les deux. C'est pourquoi la tromperie du financement de la culture a généré une médiocratie généralisée des arts mis en visibilité et soutenu par les festivals. Les festivals ont été le jouet de la politique de propagande initiée par Mitterrand : aujourd'hui le lobby Sarkozy n'a plus besoin de cette propagande et surprime donc les subventions. Il doit rembourser ce qu'il s'est engager à devoir aux médias qui l'ont élus.

I - Comment se construisent les relations entre les festivals et les artistes, comment participent-ils à la production de nouveaux projets et à la circulation des oeuvres ?

M.S. - Les relations entre les festivals et les artistes se construisent avec des dossiers : la langue institutionnelle imposée. Le financement des artistes se fait au prorata de décisions de commissions restreintes (dont certains bénéficiaires en font parti) qui décident de qui va tourner dans les festivals de l'hexagone ou pas (4 compagnies sur 400 en Midi-Pyrénées). Les artistes subventionnés ne peuvent qu'être diffusés (au dépend des autres non subventionnés) : l'État doit récupérer son investissement. La circulation des oeuvres est préprogrammée, imposée au prorata de sa subvention. Personne en France n'est indépendant dans la culture subventionnée. Quand les festivals parlent de risque, ce risque c'est de désobéir au gouvernement et programmer un artiste non subventionné. « Les rebelles détruisent l'image du prestige de la France ». La sanction est simple : plus de subventions. Mais il y en aura toujours un pour prendre le pécule et faire ce qu'on lui demande. Nous connaissons tous l'incompétence des politiques à comprendre et à apprécier l'art, l'authenticité d'un travail artistique. L'authenticité d'un travail artistique n'a aucune importance pour le politicien et la politicienne. Ce qui compte c'est l'impact public avec l'évènementiel qu'il implique : pratique naissante avec le règne de Mitterrand pour entretenir son image prestigieuse qu'il n'avait pas et dont Sarkozy se fiche éperdument. À la fin du XXe siècle, l'artiste est devenu anonyme (innommé) pour servir de prétexte aux évènements politiques reconnus dont les festivals subventionnés font partie.

I - Quels liens les festivals tissent-ils avec les structures culturelles de leurs villes ou de leurs régions ?

M.S. - Un lien publicitaire pour attirer les touristes pour qu'ils dépensent leur argent dans les villes et les régions festivalières. Nous avons vu Avignon sans son festival (grève des intermittents) et la « catastrophe » économique résultante : plus un manque à gagner qu'autre chose... Le festival a un impact économique comme une usine au début du XXe siècle : mais c'est moins sale.

I - Quelles philosophies de l'engagement artistique, culturel et citoyen sont défendues par les festivals ?

M.S. - Festival et philosophie sont deux mots qui me paraissent incompatibles vu que l'un étudie et l'autre distrait. Un engagement artistique, c'est défendre ce qui paraît juste, c'est mettre sa pensée et son art au service de cette cause : aujourd'hui pour moi c'est une lutte contre la médiocratisation des arts qui c'est généralisé par l'influence publique et les manipulations politico-lobbyistes. Les festivals résistants en France n'existent pas ou s'ils existent, ils sont invisibles des médias. Les autres mangent dans la main des politiques. Les festivals ne défendent qu'eux-mêmes et certainement pas les artistes d'avant-gardes engagés. C'est l'image du festival qui compte et le public qui est vendu aux subventionneurs, pas les oeuvres des artistes qui sont programmées.

I - Quels outils peuvent être les festivals pour la mise en œuvre d'une politique publique de la culture ambitieuse, soucieuse à la fois de valoriser les territoires et le lien social ?

M.S. - Si je traduis cette question, ça donne ceci : « à quoi sert un festival sans argent ? ». Sans argent il n'y a pas de festival dans le sens où il est entendu. Le festival est le dernier maillon de la chaîne de « promotion » des spectacles. S'il n'y a plus production, automatiquement il n'y a plus diffusion. Il est le publicitaire dont personne ne peut plus promouvoir son produit culturel. Au contraire, des rencontres artistiques ne devraient servir personne (je préfère le terme rencontre artistique que festival) et aucune politique que ce soit. Montrer le travail d'artistes authentiques, consiste à sortir du Jeu hypocrite de la politique culturelle. Un artiste n'a pas besoin de politiques pour que son art existe. L'exploitation des artistes et de leur travail et la mise au second plan de leurs créations n'ont pas été bénéfiques à l'histoire récente de l'art. Ni pour les belligérants qui ont soutenu une politique hégémonique de la culture qui n'a rien à voir avec l'art majeur dissimulé d'aujourd'hui. Les manifestations montrées dans les festivals depuis l'avènement de Mitterrand se sont adaptées à cette médiocratie : les arts comme publicité politique dont le festival est glorifié. Laurent Goldring nous dit que « les artistes ne sont plus censés produire des affects, mais sont censés produire du public. (...) Ce que les politiques appellent « lien social ». Aujourd'hui pour les festivals, installés depuis un certain temps, tout s'écroule, ils ont bénéficié de privilèges qui sont aujourd'hui retirés. Chaque président veut marquer son passage de façon différente. La politique en France n'est que la volonté du président élu. Les festivals subventionnés n'ont jamais entamé une politique d'indépendance face à la politique culturelle gouvernementale et des collectivités locales : ils se sont accordés avec elle.

Tulle, le 1er juillet 2009

 

Tentative de compréhension : festival et programmation d'artistes

L'état de l'abondance de milliers de demandes pour un festival de quelques jours est une situation qui interpelle. Des milliers de propositions d'artistes qui désirent montrer leurs travaux démontrent qu'il n'existe plus de figures majeures de l'art d'aujourd'hui comme par le passé, mais quelque chose de dilué par manque de médiatisation du travail pour qu'il soit reconnaissable et en vivre. Ou, que ces figures ne se reconnaissent plus. Les donnes de l'histoire de l'art changent. Mais les milliers de demandes sont-elles toutes valables ? Selon quel critère de valeur ? Comment est jugée la valeur d'une oeuvre aujourd'hui ?

Voici un paradoxe : sélectionner des personnes est une forme d'autorité dans le choix qui se réalise et qui reste une forme de ségrégation alors que le festival est une forme de rassemblement. Les artistes sont sélectionnés le public non : au contraire. La sélection, le critère de sélection, l'examen sont, la manifestation du pouvoir disciplinaire nous dit, Michel Foucault. Ce pouvoir disciplinaire aujourd'hui s'exprime dans la cordialité. Une aptitude, un talent n'ont pas besoin de jugement mis en scène. Ils sont simplement désirés et choisis par les mélomanes. Le choix n'est pas la sélection. Le jugement-mis-en-scène n'existe que pour l'expression de l'autorité qui est l'expression de la terreur. La terreur règne dans la dévalorisation. La terreur s'exprime pour les candidats « non retenus » : les laissés pour compte : les « victimes du système », objets de la terreur. L'autorité de la terreur même cordiale même conviviale est exprimée par l'inaptitude de ceux qui en usent. D'où la mise en scène pour s'impressionner et impressionner le candidat examiné : des milliers de candidats et peu d'élus. Le bon sens n'a pas besoin d'impressionner. La mise en scène de l'autorité cache l'incompétence de l'autorité dont les choix restent fondamentalement aléatoires et intéressés. Dans ce cas, la valeur du travail artistique devient inutile à ce type de festival et par extension à cette société ou, le travail artistique devient imperceptible, car noyé dans l'abondance : il est devenu sans intérêt dans l'abondance de l'insignifiance. Il ne suffit que de manifester sa candidature pour être artiste ? Quel est alors l'intérêt d'être un artiste aujourd'hui si son travail est impercevable, voire insignifiable ? La justification de la sélection dans l'abondance : « on ne peut pas satisfaire tout le monde », est un critère d'administration paresseuse qui ne peut se justifier dans cette nouvelle donne, mais est aussi l'expression d'un pouvoir constitué autoritaire. Dans ce cas, la forme festival n'est plus adaptée à cette demande abondante. Il faut trouver d'autres formes de médiatisation. Mais cette abondance est-elle réelle, avec des talents identifiés ou bien est-ce chacun qui tente sa chance de se montrer, sans travail original, mais dans la tendance, pour justifier l'autorité factice du festival où son succès importe plus que celui des artistes conviés ? La valeur d'un festival se mesure-t-elle aujourd'hui par le nombre de ses courtisans ?

Un appel à candidature pour un festival confirme une inconnaissance des candidats souhaités, un manque de culture ou le désir d'élargir sa palette de connaissances aux candidats inconnus (dans la passivité souveraine. Qui chasse : le festival ou l'artiste ?). Dans les deux cas, si le festival ne peut inviter tous les candidats sollicités c'est qu'il pose des conditions : c'est-à-dire des critères de sélection et donc de ségrégation entre les candidats retenus et ceux non retenus. C'est un acte qui construit une autorité sur l'expression du pouvoir ségrégationniste : « toi tu rentres et toi tu ne rentres pas » (sic). Est-ce là l'expression de la festivité ? Le festival qui affirme son pouvoir en provoquant la frustration ? Si le festival n'est plus une fête (une dépense libre de temps), il devient un évènement commercial et publicitaire aux enjeux d'intérêts politiques et/ou financiers même claniques et surtout égotiques. Il est dans ce cas délaissé par les artistes et envahi par les animations. Et dans ces conditions, le festival n'est plus un festival, mais un support pour annonceurs dont le contenu importe moins que l'autorité de celui-ci. Voici aujourd'hui le prix de la médiatisation des oeuvres d'art devenue impossible. Et celles-ci disparaissent par l'expression égotique de la majorité des festivals qui agissent pour le règne de la médiocratie.

Toulouse, le 11 mars 2010

 

 

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