Musique habitée versus Musique désertée

 

Quentin Dupuis - Sur quoi repose l'idée de la composition musicale ?

Mathius Shadow-Sky - Elle repose sur la conviction que peu importe l'interprète, la musique écrite touchera autant, et ce, quiconque qui l'écoute. *

QD - Sur quoi repose l'idée de l'interprétation musicale ?

MS - Elle repose sur le fait qu'inhabité, l'interprète n'atteindra pas le délice ressenti à l'écoute de la musique que le musicien joue.

QD - Et l'un dans l'autre ?

MS - L'un sans l'autre, une composition écrite ne demande que des musiciens exécutants. L'un sans l'autre, la musique du jeu d'un musicien pour toucher ses auditeurs doit être habitée. Avec l'un dans l'autre, la musique atteint le sublime. Un musicien d'exception avec une partition (audacieuse) d'exceptions donne une musique sublime à entendre. Voire, renversante de sensations inouïes.

QD - Qu'est-ce que signifie : être habité ?

MS - « Être habité » est une disposition du musicien connectée intégralement avec l'essence de son intention. Être habité, demande une concentration et une maîtrise gestuelle, jusque dans les détails, de son jeu instrumental. Être habité, efface tous les barrages qui empêchent le passage de la sensation directe produit par la volonté vibratoire tout en ne laissant de côté aucune partie de soi (tel, se déconcentrer, ou penser à autre chose pendant le jeu, etc.) Le corps habité du musicien habite la musique. Un corps vidé, absenté de sa conscience, ne peut pas habiter la musique. Ou, « un corps vide sonne creux » (sic), et sa musique ne résonne pas (dans aucun corps présent, voire rend son audition pénible). La musique d'un musicien habité exprime intense de l'intérieure à l'extérieur la vie vibrante ; l'intérieur est ce qui est invisible et inséparable de sa source et qui est transporté par les vibrations qui passent à travers les corps humains. Entendre une musique inhabitée est équivalent à s'occuper de quelque chose qui ne sert à rien. Un gâchis, une perte de temps où le vécu est absent. Un non-sens vital.

MS - Jouer une note de musique que l'écrit localise dans le temps et l'espace parmi les autres ne suffit pas à la musique, celle qu'on souhaite sublime. Une partition n'est pas encore de la musique. Une partition est un projet mesuré et visualisé de musique à entendre. Avec la partition, la vision interfère l'audition. Ou la vision assujettit l'audition par la mesure. En même temps, la vision mesurée précise les localisations de manière subtile - qui ne pourrait pas l'être autrement ? - et, à pouvoir les répéter avec exactitude (toujours imparfaite par interférence du temps). L'écriture musicale graphique de signes est un code quantifié qui s'impose de trouver des combinaisons de lignes mélodiques de hauteurs/rythmes, timbrés (de l'instrumentalisation à l'orchestration) = identifiant, avec l'intensité acoustique de jeu de piano à forte, plaisantes et répétables avec l'exactitude suffisante pour son identification. Les repères sont des quantités localisées identifiées dans une échelle identifiée. Une échelle (de durées ou de hauteurs) mesure par la distance (= ses intervalles) la localisation de l'élément paramétré positionné (par rapport aux autres).

MS - L'écriture musicale graphique est l'ancêtre de l'enregistrement audio électrique. La communication graphique de la musique sert d'abord d'aide mémoire visuelle pour pouvoir se repérer à pouvoir répéter les combinaisons avec une certaine exactitude pour pouvoir les identifier, car elles sont, dans notre culture, souhaitées être réentendues pareil (indistinct du souvenir retenu dans nos mémoires) avec exactitude.

MS - Ce désir culturel de consommation du même, au contraire de se réjouir de découvrir des différences, et ainsi, de savoir pouvoir s'adapter à toutes situations inattendues, amène, les êtres humains qui s'y plient, à l'usage, à développer l'intolérance de la différence. Le racisme est l'expression de la peur de l'autre à cause de son enfermement volontaire. Et, le contraire, à favoriser à vouloir jouir de différences (sachant que la jouissance ne jaillit que de l'expérience des différences que la fadeur de la répétition du même atténue à néant) ouvre l'état d'esprit et la disposition corporelle à se réjouir de vivre la vie.

 

Et là, se pose la question essentielle de
la raison de la création musicale :

Qu'est-ce qui importe : est-ce la composition ou l'interprétation ? Autrement dit, qu'est-ce qui importe dans la musique : combiner des figures à identifier une forme de matière musicale (entendre la signature du compositeur qui se signale) ou entendre ce que donnent à entendre des musiciens habités, peu importe ce qui est joué ? Le même interprète habité à chanter ou jouer différentes compositions donne le même ravissement. À l'inverse, une composition orchestrale, que les musiciens soient habités ou pas, sonnera la composition ; c'est pour cette raison que composer la musique pour l'orchestre importe tant au compositeur. Ou la raison de la composition musicale prend son sens à se réaliser avec l'orchestre (de 20 à 100 musiciens) pleinement. La composition musicale écrite ne sert qu'à l'orchestre et ne s'épanouit qu'avec l'orchestre. Ensuite, à étendre la théorie musicale au-delà des notes et de la monoscalairité, il existe des idées fortes qui réalisent une combinaison tellement unique que la technique instrumentale requise pour jouer la musique demande un entrainement qui à l'usage force le musicien à une certaine disposition de jeu : qu'inhabité la musique ne sonne pas. Je pense à « Il m'est impossible de donner un titre à ce phénomène... » qui dispose d'une technique instrumentale si particulière et unique, que le cheminement de la musique importe moins que la musique est impossible à jouer désertée. Pareil pour Ourdission pour flûtes, où l'inscription de la musique marque de manière insuffisante la puissance du phénomène qui est inscrit. Pourtant, le musicien interprète perçoit très bien l'intensité du phénomène que portent ces 2 musiques qui peuvent être jouées par des solistes. On peut retenir donc, pour la composition musicale est un sens musical (oui) la démonoscalairisation de la théorie musicale est essentielle. Autrement dit : la polyscalairisation de la théorie musicale donne une approche compositionnelle qui la sort de la simple combinatoire d'un nombre restreint de possibles. On aura compris que les notes ne font pas la musique ! Qu'écrire des notes de musique sur une portée ne fait pas la musique. La notation n'est qu'une transcription simplifiée de ce qu'il y a derrière qui devrait être joué.

...

 

Note
* Cette disposition compositionnelle, propre à la culture occidentale de la musique savante écrite, valorise le compositeur pour cette raison : la musique « élue », quels que soient l'interprète et l'auditeur fait d'un compositeur, « un Grand Compositeur » (sic). Mais, à consulter l'histoire de la musique, pratiquement toutes les oeuvres aujourd'hui reconnues comme chef-d'oeuvre, à leur époque de création ont toujours fait « scandale » (sic). Il ressemble alors, que toute oeuvre majeure, pour l'être, doit bouleverser/renverser « les valeurs acquises » (valeurs qui à l'usage font de la vie un réconfort permanent qui s'enlise dans la fadeur).

 

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