La musique savante de la seconde moitié du XXe siècle

- dogme et musicalité -

 

UTOPIE CONCEPTUELLE

 

LA MUSIQUE CONCEPTUELLE DES UTOPIES de la seconde moitié du XXe siècle où la musicalité est reléguée au second plan au profit de l'expérience de nouveaux possibles. Ces possibles devaient être explorés pour enrichir la musique de ses diversités. Mais l'expérimentation est une nécessité permanente pour la musique, elle se pratique aussi en accord avec le désir de musicalité. C'est mieux, non ?

Des générations à venir
Les explorations musicales de la seconde moitié du XXe siècle étaient appuyées de théories musicales encore insuffisamment maîtrisées (digérées ou comprises) dans leur musicalité au vu de leur abondance pour qu'elles puissent offrir un épanouissement aux démarches artistiques des générations à venir. Leur dogmatisme était en contraste avec la pratique aventureuse de ses explorateurs. Nous-mêmes, nous sommes en phase de composition : une décomposition qui se recompose.

Qu'est-ce que la musicalité ?
Le contraire de ce que peut produire un ordinateur avec une musique automatique prévisible et sans intervention humaine ? Pour ma part, le résultat de sonorités jouissives issues d'un imaginaire inattendu et de pouvoir en redemander jusqu'à satiété (en être obligé de passer à autre chose), mais chacun possède son propre schéma de jouissance qui se retrouve dans divers qualificatoires : excès, retenue, joliesse, massivité, aérien, violence, douceur, etc. La musicalité, c'est ce qui dans la musique transporte dans l'extase et le plaisir; extase excessive ou retenue selon chacun. Aussi, entendre l'inventivité d'une tournure admirable ou brillante ou une combinaison musicale exceptionnelle et inattendue, mais surtout un état d'esprit de faire de la musique dans l'objectif d'en jouir : certains musiciens y parviennent d'autres pas. La musicalité découle du désir de jouissance. Les choix des multiples éléments musicaux du compositeur sont en ce sens fondamentaux pour que sonne sa musique. La musicalité c'est la musique de la musique.

La réaction des compositeurs regroupés sous le terme « post-moderne » fut de réintroduire une musicalité manquante dans les musiques d'avant-gardes de la seconde moitié du XXe siècle. La simplicité touchante d'une boucle, quelques « traits » de Mozart pour une musique lancinante et répétitive, un chant et un accompagnement avec une gamme qui sonne faux, etc. Le rejet radical des musiques du calcul pour ces « musiques souvenirs » montre le dogmatisme impétueux de ceux qui prétendent être, faire « mieux que les autres »... La musicalité manquante de l'avant-garde de la seconde moitié XXe siècle s'est exprimée dans les années 80 dans la marginalité puis c'est diluée dans le néant musical du XXIe siècle.

L'excès de théorisation montre la nécessité compensatoire à l'incertitude de sa démarche (est-ce mon cas ?).
Chaque compositeur de la seconde moitié du XXe siècle devait se convaincre du bien-fondé de la légitimité de sa démarche et la justifier contre des détracteurs potentiels. Et d'une certaine façon fasciner les néophytes mélomanes de la nouvelle musique par des formules spectaculaires dignes de ce que représentent les alchimistes du XIIe siècle, maître des alliages. Le statut élitiste du compositeur était mis en jeu pouvant se faire dérober le sérieux (le respect envers) de sa pratique farfelue et il fallait faire attention au manque de considération malgré la position dominante de l'avant-garde. Les dogmes musicaux de la seconde moitié du XXe siècle pratiquaient couramment l'intolérance comme la musique sérielle, ou la musique concrète, ou la musique stochastique, ou l'oeuvre ouverte, ou la musique aléatoire, etc., bien que foisonnaient des imaginaires sans limites vers une révolution musicale qui ne pouvait que s'affirmer. Malgré toutes ces précautions, dont celle de quérir le respect, cette révolution s’est étouffée d'elle-même en anéantissant ses acquis. Le sérieux des compositeurs de cette musique conceptuelle utopiste donnait un curieux mélange contradictoire : une austérité de l'expression musicale contre un débordement d'imaginaires extravagants.

Certains compositeurs ont vécu la révolution cagienne comme la fin de la musique.
Et certains se sont réfugiés dans des graphismes qui confirmaient la fin de la musique classique avec des portées et des notes triturées. On peut nommer ce courant : les négationnistes, car ces compositeurs n'ont pas su exploiter les nouvelles possibilités qui s'offraient à eux. Ils avaient toujours dans l'esprit le dogme de l'unité de l'oeuvre et d'autres principes qui ne tenaient qu'avec la musique tonale même atonale, mais toujours avec une harmonie. Des compositeurs brillants qui ont fait de longues études de musique tonale au conservatoire et qui se retrouvaient brutalement face à une remise en question radicale du sens même de la musique : tout est musique, le silence n'existe pas, etc. Leur métier leur avait été usurpé !

Ce qu'aujourd'hui nous savons, c'est que la théorie, aussi dogmatique soit elle ne fait pas la musique.
Un Berio, un Ligeti par exemple ont toujours navigué entre les courants en prenant ce qui leur était utile pour que ça sonne (je pense à O King ou à Lontano) et en laissant le reste. En musique il ne peut pas y avoir de lois et d'interdits, pour opérer tel ou tel développement formel, des règles drastiques contre la musicalité dont le représentant majeur en France est Pierre Boulez qui encore jusqu'à aujourd'hui (2011) peine encore à lâcher son dogmatisme structuraliste pour faire simplement de la musique qui sonne. C'est en cela que la musique savante de cette époque est conceptuelle : l'idée du dogme est plus importante que la musique de la musique. Si Boulez se délecte à montrer le développement de son intelligence dans sa musique c'est qu'elle doit en manquer : sinon pourquoi tant d'efforts amusicaux ?

Les Négationistes post-cagiens (nient la musique dans les universités)
Les Fonctionnaires post-bouleziens (paramétrisent la musique dans les instituts)
Les Calculateurs post-xenakisiens (calculent la musique dans les laboratoires)

Seuls, le calcul, la négation ou paramétrer ne fait pas la musique et ne peut produire de musicalité.

 

Des noms :

Les compositeurs de la seconde moitié du XXe siècle avec le plus de musicalité
Luciano Berio
Ennio Morricone
Pierre Henry
Luc Ferrari
Gyorgy Ligeti
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Les compositeurs de la seconde moitié du XXe siècle avec le moins de musicalité
John Cage
Pierre Boulez
Pierre Shaeffer
Brian Fernehough le comble risible de la musique contemporaine
...

Les compositeurs de la seconde moitié du XXe siècle avec imaginaire avec (pas toujours) de musicalité
Karlheinz Stockhausen
Iannis Xénakis
Mauricio Kagel
Dieter Schnebel
Harry Partch
Colon Nancarrow
...

Les compositeurs révolutionnaires de la seconde moitié du XXe siècle (qui proposent autres choses pour la musique)
John Cage
Dieter Schnebel
Josef Anton Riedl
Luc Ferrari
Karlheinz Stockhausen
Harry Partch
Mauricio Kagel
Pierre Shaeffer
Iannis Xénakis
Luciano Berio
Pierre Henry
Gyorgy Ligeti
...

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LE DOGME FUSIONNEL

 

Un spectre harmonique est plus aisément localisable (nommable dans la note reconnue) qu'un autre, du fait de la constance de sa fréquence vibratoire fondamentale. Exemple : un spectre harmonique avec un son fondamental à 110 Hz répète l'intervalle de 110 Hz entre chaque partiel de son spectre harmonique : 110 Hz (freq. fond.) 220 Hz (8ve) 330 Hz (5te) 440 Hz (4te) 550 Hz (3ce), etc., en s'additionnant elle-même ou en se multipliant à la suite (des entiers naturels) 1, 2, 3, 4, 5, etc. : ce qui revient au même. Cette constance, cette équidistance, cette répétition d'un intervalle (« écartement des raies ») dans le spectre harmonique permet aussi la localisation aisée (nommable dans la note reconnue) de la sensation de hauteur : que l'on peut nommer « la constance fréquentielle harmonique ». Qu'une localisation de la « hauteur » avec tout autre spectre n'offre pas; cette « fusion » de ses parties. Notre manière, notre habilité de fusionner les différences qui ne le sont pas vraiment.

Cette « perception fusionnelle » est accentuée par l'application opérationnelle similaire, de la suite des entiers naturels aux amplitudes des partiels du spectre harmonique : si la fréquence fondamentale possède une amplitude de 1, le second partiel aura une amplitude d'1/2, le troisième d'1/3, le quatrième d'1/4, etc. La simplicité « fusionnelle » du spectre harmonique théorique (application d'une analyse [autrement dit : de filtres] sur le réel) a favorisé sa culture dans la musique occidentale. Aussi pour former des accords à tendance fusionnelle qui sont basés sur les intervalles du spectre harmonique. La distinction théorique des instruments de musique occidentaux s'opère par la forme de leur amplitude spectrale nommée « formant » et « enveloppe ».

La théorie de l'écriture musicale occidentale repose sur ce dogme de la fusion (indistinction des parties) : le moyen de donner aux fausses différences le moyen de ne faire qu'un; grâce à l'unisson. La notation musicale occidentale « classique » offre la possibilité à tous les instruments de musique de jouer la même note : l'unisson ou la perfection de la fusion. Le jeu de la musique (savante) occidentale est de provoquer la sensation de fusion par des alliages appropriés de similarités différenciées et parfois de s'en écarter pour y revenir afin de l'affirmer. Est-ce pour le désir de se sentir puissant (la volonté de sensation de puissance) ?

Mais la réalité est moins simpliste une fois les masques (de la théorie appliquée) retirés.

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La musique savante occidentale

et la culture de l'accord

L'HARMONIE SAUVÉE

par la pratique du compositeur contemporain

 

L'accord (autrement dit la fusion qui ne distingue plus ses individualités constitutives) est une pratique d'assemblage avec un nombre d'éléments comptables (obligatoirement limités pour pouvoir être opérés) qui sont les hauteurs d'un même timbre pour produire différentes sonorités (décrites selon l'humeur). Comme les différents cubes d'un même jeu à produire différentes combinaisons pour obtenir différentes constructions similaires.

Pour qu'il y est accord, il faut au moins 3 sons (constitué de 2 intervalles pouvant aller jusqu'au « cluster » du total chromatique c'est-à-dire un accord avec toutes les « hauteurs » de l'échelle).

L'art des accords est l'exploitation de la forme politique du même. Une idée similaire qui se retrouve dans des individualités (voire des cultures) différentes (accordées par la diplomatie). Une approbation pour une majorité de personnes qui acceptent les mêmes idées. Le mot accorder est apparu en 1080 (selon le Robert) issu du latin populaire accordare, de ad et cor, cordis « cœur », « cœur; siège du sentiment et de l'esprit » avec influence de chorda « corde » tendue. Son premier emploi de faire aller des sons ensemble c'est engagé à être au même diapason (début XIIe, rare avant XVIIe du mot latin « octave », du grec dia pasôn (khordôn) « par toutes (les cordes) » et son de référence, le la3 à 440 Hz, utilisé pour l'accord des voix et des instruments). La culture du même a permis de consentir à admettre, à reconnaître, à tenir pour vrai toute idée émise dans ce contexte de désir d'assimilation de la similarité. L'étape suivante de l'évolution de l'idée de l'accord est la synchronicité. La synchronicité permet l'émission de toute chose au même moment (aujourd'hui nous parlons en terme de milliseconde dans le pilotage des machines). L'accord est produit à la fois dans l'espace et dans le temps et se profile comme un dérivé de l'obéissance. Une forme militaire de l'obéissance dans l'accord de jouer au pas au nom de la fusion. Tout cela est-ce pour effacer les contrariétés ?

Au-delà du système tonal (qui permet de cultiver la similarité dans diverses positions : la transposition) tous les compositeurs ont cherché des « alliages » pour constituer des accords à la recherche de sonorités différentes jusqu'à la dernière « tendance spectrale » (où le travail compositionel est de remplacer les partiels d'un spectre par des notes de musique pour que ces « nouveaux accords » soient interprétables par un orchestre classique). Le paradoxe est qu'un spectre inharmonique tonalisé ou modalisé (dont les partiels sont inclus dans l'échelle de 12 tons et ses dérivées modales) peut fusionner à l'écoute. Même un spectre inharmonique peut se confondre avec un accord. Mais en dehors du domaine de 12 tons tempérés, les individualités restent perceptibles. (Notons que le 7e harmonique du spectre harmonique est majoritairement considéré comme faux contre son équivalent tempéré réaccordé pour son assimilation à la transposition.)

Exemple :

Constitution harmonique d'un accord inharmonique
Écoute de l'accord [mp3 198Ko]

partiel 1 131 Hz ~ C2
partiel 2 139 Hz ~ C#2
partiel 3 155 Hz ~ D#2
partiel 4 174 Hz ~ F2
partiel 5 196 Hz ~ G2
partiel 6 208 Hz ~ G#2
partiel 7 233 Hz ~ A#2

partiel 8 262 Hz ~ C3
partiel 9 277 Hz ~ C#3
partiel 10 349 Hz ~ D#3
partiel 11 349 Hz ~ F3
partiel 12 392 Hz ~ G3
partiel 13 415 Hz ~ G#3
partiel 14 466 Hz ~ A#3

partiel 15 554 Hz ~ C#4
partiel 16 588 Hz ~ D4
partiel 17 622 Hz ~ D#4
partiel 18 693 Hz ~ F4 bas
partiel 19 699 Hz ~ F4
partiel 20 778 Hz ~ G4 bas
partiel 21 830 Hz ~ G#4
partiel 22 932 Hz ~ A#4

partiel 23 1048 Hz ~ C5
partiel 24 1244 Hz ~ D#5

etc.

Cette suite de 7 partiels forme le mode : do, do#, ré#, fa, sol, sol#, la#
qui a la forme : 1/2 ton, 1 ton, 1 ton, 1 ton, 1/2 ton, 1 ton, 1 ton : qui est le mode de mi, autrement nommé : mode phrygien*.

Quand les compositeurs du XXe siècle parlaient du timbre, ils parlaient en fait d'harmonie : d'accords (aujourd'hui on parle de synthèse). Les tables d'équivalences; fréquences en Hertz qui correspondent aux notes de l'échelle tempérée de 12 tons, sert toujours a former des accords avec des fréquences pour former des spectres de timbres inharmoniques au pouvoir fusionnel. La synthèse électronique dont découle cette pratique est nommée, synthèse additive (qui superpose des sinus) et dont la non-synchronicité des partiels produit des déphasages (effet de phasing pour une phase mouvante). Grâce à l'exploitation modale de la spectralité, la pratique harmonique de la musique savante contemporaine est sauvée (pour un temps) et ne s'isole pas de la pratique de la musique classique. Nous pourrions nommer cette tendance : la modalité spectrale déjà initiée par Olivier Messian voire Claude Debussy.

Nous comprenons mieux pourquoi les propositions de considérer de penser et de développer le bruit et d'autres échelles dans la musique savante occidentale dominante** résistent à être intégrés depuis maintenant presque une centaines d'années (musique qui au passage nie aussi le rythme à faire danser).

 

Notes
* une combinaison du mode majeur :
1 ton, 1 ton, 1/2 ton, 1 ton, 1 ton, 1 ton, 1/2 ton, <=> mode majeur (de do), dit ionien

dont voici ses 6 dérivés :
1 ton, 1/2 ton, 1 ton, 1 ton, 1 ton, 1/2 ton, 1 ton, <=> mode de ré, dit dorien
1/2 ton, 1 ton, 1 ton, 1 ton, 1/2 ton, 1 ton, 1 ton, <=> mode de mi, dit phrygien (ausi hypoéolien)
1 ton, 1 ton, 1 ton, 1/2 ton, 1 ton, 1 ton, 1/2 ton, <=> mode de fa, dit lydien
1 ton, 1 ton, 1/2 ton, 1 ton, 1 ton, 1/2 ton, 1 ton, <=> mode de sol, myxolidien (aussi dit hypoionien)
1 ton, 1/2 ton, 1 ton, 1 ton, 1/2 ton, 1 ton, 1 ton, <=> mode de la, dit éolien
1/2 ton, 1 ton, 1 ton, 1/2 ton, 1 ton, 1 ton, 1 ton, <=> mode de si (ignoré : ?)

Ses combinaisons pour obtenir ces 6 modes (pas 7) ont été proposés par Boèce semble-t-il.

** Qui c'est appropriée tous les moyens au dépens des autres.

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COMPOSITEUR DE L'ORDRE

La foi des compositeurs de l'ordre

et l'enjeu politique des institutions de la musique
savante du XXe siècle au XXIe siècle

 

pamphlet

 

La foi des compositeurs de l'Ordre est convaincue de perpétuer la « longue tradition occidentale de l'écriture musicale » dans l'état d'esprit de se faire croire être les maîtres du temps de l'Histoire de la musique, les surhommes de la « grande musique » : la caste « supérieure » des compositeurs. Car ils écrivent la musique dans la prédiction : ils prédisent comme les mages qui demeurent insondables par le « vulgaire » avec la rigueur d'un contrepoint qui se méfie des bruits et des « sons nouveaux », les rejettent même au profit de la syntaxe, du langage et de la structure écrite avec la notation musicale classique. Les compositeurs de l'Ordre écrivent la musique avec des notes pas des vibrations audibles, mais des abstractions non audibles où l'audibilité du matériau sonore reste secondaire ou intérieur (la musique dans sa tête) : ce qui compte c'est la position sociale d'exception du compositeur qui navigue dans la pensée abstraite au-delà des sonorités au-delà de la médiocrité du son audible de la musique. Et le chef de file de ces esprits suffisants, prétentieux et méprisants est Pierre Boulez qui en trente années de pouvoir à fait éclore une jeune génération de compositeurs de l'Ordre qui cultivent l'écriture détachée de la musique tout en proposant des copies de partitions classiques gauchement agencées comme création originale signée de leur main. Le ridicule ne leur donne pas honte de leur suffisance, car ils ne s'en aperçoivent pas : ils ne peuvent pas douter, ils sont trop sûr d'eux et bien soutenus. Le problème est que leurs musiques sont inappréciables, mais c'est vrai, ce n'est pas de la musique qui compte, mais de l'écriture musicale : qui n'a rien à voir avec la musique... L'expression d'une croyance d'intelligence supérieure imaginée.

La pensée structurelle oblige à manipuler des éléments; des éléments simples et distincts en nombre fini pour pouvoir les combiner afin qu'ils puissent se retrouver dans la note de musique, car les compositeurs de l'Ordre pratiquent la composition musicale en tant qu'art d'écrire avec des notes. Pas de faire vibrer par sympathie une audience d'oreilles tendues à assouvir ses plaisirs par la musique. L'idéologie des compositeurs de l'Ordre; c'est un état d'esprit très étonnant qui s'imagine dominer le monde (tout en y étant retiré) alors qu'il l'ennuie.

Pour prévoir une composition avant de l'écrire (ce qui donne le statut de mage au compositeur), il faut d'abord avoir assimilé un dogme : c'est-à-dire un système musical simple et autoritaire; en un mot un système prévisible. Pour prévoir, il faut savoir : il n'existe pas d'autres alternatives. Mais la majorité des compositeurs bluffent la prédiction compositionnelle puisqu'ils écrivent des impossibilités à interpréter pour se distinguer. Impossibilités qu'ils nomment : « complexe » qui n'est pas complexe, mais impossible à jouer (voire inutile) dans le contexte musical, ce qui retranche ces propositions dans l'amusicalité qui justifie cette (fausse) complexité. La note de musique réduit le monde vibratoire à quatre paramètres et aux instruments de musique classique dont les possibilités demeurent restreintes à l'originalité après 300 années d'exploitation et de règne.

Les compositeurs de l'Ordre ont précipité la musique contemporaine dans la médiocrité : dans une simplicité risible se dissimulant derrière une complexité illusoire. Car ils répètent la pratique élémentaire d'ordonner hors tonalité tout en restant dans l'exploitation surannée de l'échelle de 12 tons avec les instruments de musique classique. Cette attitude rétrograde de penser la musique par son ordonnation (dans le sens de donner des ordres, être obéi et exécuter l'ordre exact sans débordement ou interprétation possible) positionne sans discussion le musicien dans l'obéissance. Une façon totalitaire et en dehors de la réalité de concevoir la musique dans le partage. Le compositeur seul régnant qui comme si le fait de « toucher » au vibratoire était une chose sale. Cette attitude n'arrange pas la défection du public des concerts de « musique contemporaine » dont les compositeurs de l'Ordre se sont approprié l'appellation, mais « peu importe puisque les subventions d'État sont continuellement présentes avec des articles et des ouvrages qui flattent cette musique » qui prône une attitude à la fois passéiste et prétentieuse. Nous n'avions vraiment pas besoin de ça pour la musique.

 

Le dogme boulezien

 

« Imaginer le résultat sonore sans intermédiaire instrumental, à la seule lecture d'une partition ». Le dogme boulezien part de ce principe. Dieter Schnebel réalisa ce projet avec son livre « Mo-No musique à lire » en 1969, mais à l'opposé du dogme boulezien : c'était une écriture musicale non destinée au concert. Imposer cette pratique, reconnait le compositeur comme le maître de la musique et dont les musiciens sans importance ne sont que les exécutants. Dans cette idée, c'est le compositeur qui crée la musique pas les musiciens. Aucune exécution ne doit détourner l'oeuvre composée de la perception de ses relations internes déterministes, mais abstraites (sa structure) ni les musiciens et surtout pas le son. Pourquoi pas, mais si ces structures pouvaient capter l'attention au lieu de l'ennuyer, mais ce n'est pas le cas.

Mais investiguons plus loin en relevant les termes bouleziens : « entendre dans l'absolu »; « sans erreur possible »; « estimation erronée »; « fausse appréciation de leurs relations »; « l'imaginaire de la perception n'a pas fonctionné correctement »; une composition serait réussie « jusqu'à ce qu'imaginaire et réalité coïncident totalement grâce à une projection correcte de la perception »; la hiérarchie est là sous-jacente; « la réalité que je perçois sera pensée comme une déviance du concret par rapport à la perfection de la hiérarchie »; l'instabilité des éléments empêche de faire une analyse rapide et totale et est donc rejetée; l'objet sonore avec ses propriétés acoustiques subordonne l'écriture, c'est en cela qu'il est rejeté; ranger dans des catégories; une individualité se désolidarise de toute généralisation et rend incompatible à la composition les objets sonores que le monde met à notre disposition; dans ce cas une hiérarchie, va devoir s'imposer avec un certain nombre de difficultés; etc. : montre le désir de contrôle absolu sur le fait musical qui doit être répétée sans erreur à chaque exécution. La notion d'erreur révèle une pratique non maîtrisée et une mécompréhension du monde musical, voire son refus. La notion d'erreur révèle une intolérance de ce qui est étranger dans un système totalitaire. Un système totalitaire est obligatoirement restreint, car il ne pense pas et n'intègre pas l'imprévisible : c'est-à-dire la part inconnue de notre savoir morcelé et conditionné. C'est un état d'esprit fermé. Mais l'originalité réside dans la surprise où elle éclot pour être remarquable.

Il est surprenant et paradoxal que Pierre Boulez parle de hiérarchie, alors que la hiérarchie tonale a été gommée d'abord par le dodécaphonisme de Schoenberg puis par le sérialisme dont il était l'un des chefs de file. Ce retour à la hiérarchie ressemble à une régression de la pensée musicale qui n'a pas trouvé d'autres solutions à son épanouissement. La hiérarchie positionne et permet de déterminer ce qui commande et ce qui obéit. Penser la hiérarchie c'est penser qu'il y a des personnes plus importantes que d'autres, c'est se référer à un système politique obsolète : maître-esclave, de monarchie ou d'organisation militaire. Ces systèmes sont déjà connus et familiers, et il n'est pas difficile de prévoir une composition dans un système fermé hiérarchisé et anachronique (« d'entendre la musique avant de l'écrire sur papier » sic). Avec la « musique qui ne ressemble à rien » (sic), il existe un gouffre réel entre avoir une idée musicale et prévoir la musique à venir résultante (l'entendre dans la tête avant de l'écrire) dans des contextes non favorables.

« L'obligation à laquelle on doit se conformer est d'éviter de s'appuyer sur l'objet sonore lui-même » où « il faut enlever la référence » à l'objet sonore pose la question : peut-on concevoir de la musique audible en dehors du contexte sonique ? et, pourquoi concevoir de la musique en dehors de son contexte sonique ? En quoi composer de la musique en dehors de son contexte sonique est-ce intéressant ? En poussant au bout le dogme boulezien : quel est l'intérêt alors de réaliser en concert une écriture musicale dans l'esprit « d'éviter de s'appuyer sur l'objet sonore lui-même », puisque sa lecture suffit ? Le concert devient une contradiction puisqu'il transforme la pensée abstraite en objet sonore (avec ses « défauts ») ou fait office d'une démonstration d'obéissance absolue de ses exécutants (dans des conditions obligatoirement imparfaites). Le concert boulezien est une contradiction envers son écriture sur partition. Il devrait se retirer des programmations de concerts pour cause de pollution sonore.

Ces principes ne nous dérangeraient pas s'ils n'étaient pas hégémoniques. Après tout, toute conception musicale est musicalement acceptable, tant qu'elle ne nuit pas aux autres, qu'elles dialoguent les unes avec les autres, ensemble sans qu'aucune ne prenne un pouvoir absolu aux dépens des autres. Oui.

C'est en prenant connaissance de ses limites que Pierre Boulez est devenu dogmatique. Le règne de la note dans le contrepoint a passé son temps et Pierre Boulez n'a pas réussi à renouveler la pratique de l'écriture pour le XXIe siècle comme l'Ars Nova à la Renaissance pour les polyphonistes. Aujourd'hui presque par dépit, il se réfugie dans une musique modale où son dogmatisme dur semble s'être assoupli reconnaissant son échec. Échec au prorata de l'intensité de son dogmatisme.

L'institution n'a-t-elle pas le rôle de décolorer l'originalité ? D'homogénéiser dans le prédictible, pour qu'elle reste gouvernable ? Effacer les individualités inclassables qui perturbent toute vision simpliste et autoritaire du monde ? L'institut gouverné par une pensée dogmatique : normal (c'est le comportement institutionnel même). Il est très dangereux de donner un pouvoir absolu à un artiste raté jaloux. Pour le plus spectaculaire, il suffit de constater les ravages d'un Adolf Hitler peintre médiocre et dogmatique. Pierre Boulez pendant son temps de règne dans une moindre mesure a dilapidé en France une « avant-garde » musicale prospère sur laquelle il n'avait aucun respect ni aucun contrôle.

 

Quels sont ces compositeurs de l'Ordre qui ruinent l'évolution de l'intelligence de la musique
et de l'originalité créatrice qui ne peut se réaliser sans liberté ?
Ils sont dominants, présents dans tous les rares concerts de « musique contemporaine ».

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Notes
1. les passages entre guillemets sont extraits de l'article « Entre Ordre et Chaos » de Pierre Boulez dans inHarmonique n°3 et Jalons (pour une décennie) cité par Marc Texier dans Voix Nouvelles 91 de la Fondation Royaumont.
2. Notons que Pierre Shaeffer face au mépris de Pierre Boulez pour la musique concrète et son « bricolage », c'est senti obligé de pondre en 1966 un Traité des Objets Musicaux de 700 pages pour justifier sa position « sérieuse » de faire de la musique avec des objets sonores enregistrés qui ne sont pas obligatoirement des instruments de musique. Aujourd'hui cet immense travail est à la hauteur du mépris de Pierre Boulez, c'est-à-dire inutile. Il semble que Pierre Boulez est un profond mépris pour les choses de la vie surprenantes pour avoir provoqué une telle médiocrité musicale au nom de sa pensée structurelle de l'ordre dont la partition est l'aboutissement et non la musique audible.
3. Notons aussi la simplicité de la « musique spectrale » qui est acceptée comme suite à la « musique sérielle » : celle de mettre des notes à la place des partiels d'un spectre d'un son et ainsi de les enchaîner. Il est difficile de discerner où est l'intelligence savante d'une composition dans cette pratique sans surprise ?

 

 

MACHINES À CALCULER ET MUSIQUE : L'UTOPIE DU GÉNIE AUTOMATIQUE

 

Le compositeur assemble (pose ensemble) le programmeur règle des automates (dispose des algorithmes : suites d'opérations logiques) avec un nombre d'éléments finis pour réaliser une tâche précise, mais « les règles d'assemblage semblent essentiellement arbitraires puisqu'elles varient avec les sociétés, les époques, les modes, etc. » Et l'intérêt de la musique se situe dans la « transgression des règles établies ». Pourquoi ? Pour la simple raison d'éviter l'ennui par la répétition des mêmes règles. L'art de la composition musicale est l'art de la transgression de la routine : l'art du rebelle. Tout artiste est condamné à être rebelle pour exercer son métier qui déchaîne les passions. « Préciser les normes combinatoires » ou « ordonner de façon satisfaisante » des années 60 sonne pour un compositeur libre (du « dés-ordre ») comme des obligations qui aujourd'hui ont été transgressées. « L'ordinateur peut explorer des domaines musicaux encore inconnus parce qu'il n'est soumis à aucun autre conditionnement que celui imposé par le programme(ur) », pensait-on à l'orée de la musique par ordinateur en 1964. Aujourd'hui nous savons que le ou les programmeurs conditionnent le programme. La tâche du compositeur est de mélanger aussi ces personnalités informatiques. La pérennité d'une oeuvre voulait être résolue par la « perfection informatique » grâce à sa précision quantitative jusqu'à proposer d'utiliser l'ordinateur comme « machine à chercher des idées musicales originales ». Aujourd'hui, ces dogmes totalitaires de réussite musicale ne tiennent plus à cause d'une production numérique généralisée et ennuyeuse de musiques savantes ordonnées et détachées du contexte musicale de la musique : des musiciens et des mélomanes rassemblés pour échanger des sensations et des subtilités vibratoires. Le critère de l'oubli public comme contraire à la marque de reconnaissance du génie est un peu maigre comme argument. Je serais plutôt partisan de l'argument de la négligence et de la tendance de la mode (morale des moeurs) et du mode des nécessités culturelles imposées par une communauté changeant de cohérence. Où certaines musiques conviennent et d'autres pas [1].

 

Note
1. voir le bulletin du GAM (Groupe Acoustique et Musique) n°2 dirigé par Émile Leipp sur le thème « composition de la musique à l'aide de machines à calculer » rencontre datant de 1964 avec Pierre Barbaud et la présence de Jean-Claude Risset entre autres.

 

 

L'ESPRIT SERIEL DE LA MUSIQUE ELECTROACOUSTIQUE : NE PAS SE REPETER

Les danseurs, ça bégayent ?

« Un instrument de musique est un objet sonore borné » qui n'intéresse pas le corps sonore de l'objet sonné dans l'esprit électroacoustique. C'est-à-dire qu'un instrument de musique pour l'esprit électroacoustique possède une palette sonore limitée. Il est intéressant de savoir que la majorité des compositeurs de musique électroacousmatique ne sont pas musiciens, dans le sens qu'ils ne pratiquent et ne jouent pas d'un instrument de musique. Ce qui implique que : certains avantages à jouer de la musique leur échappent. Exemple : un musicien comme le trompettiste Don Cherry a cultivé « une sonorité de phrasé unique » (comment dire cela ?) qui implique le mouvement de tout son corps et de son esprit : on écoute ce qu'il y a de renversant dans sa musicalité et pas sa palette de différences acoustiques. La culture de la différence a amené la musique sérielle et électroacousmatique dans la répétition de soi non pas dans le morceau de musique composé, mais dans tous les morceaux de musique composés dans leur ensemble : toutes ces différentes musiques sonnent pareil. Ces genres de musiques sérieuses à l'usage se sont avérées monosonnes. Monosonne par manque de vitalité. Le manque de vitalité se détecte dans le manque d'allure, de se trouver en dehors du mouvement de la musique : dans sa part insonique. Ce manque d'allure se traduit par le manque d'outils et savoir-faire musicaux qui permettent un accès immédiat à la musique, nommée en informatique musicale : temps réel et ergonomie instrumentale. Composer en temps réel implique une force vitale et une allure qui se retrouve dans la musique (le compositeur extrapole cette vitalité dans la partition) au lieu d'une simple combinatoire de paramètres quantifiables fixés par l'écriture et exécutable par une machine. Cultiver la différence dans la qualification quantitative (théorie musicale numérisée) amène obligatoirement à ignorer une grande part de la musique. Les rapports simplistes de la numérique sont insuffisants à créer de la différence par quantification. Il existe d'autres « paramètres » imparamètrables et non théorisés qui échappent à l'écriture musicale quantifiée : l'humain. Quand un compositeur de musique élecroacousmatique prend un objet musical pour le faire sonner dans le but d'enregistrer son son, il ne fait que le manipuler pour lui extraire ce qui le fascine, mais ne le joue pas, ne l'exprime pas, car il ne sait pas. Un compositeur de musique électroacousmatique fait du son avec lequel il fait de la musique et quand il manque de talent son projet musical ne dépasse pas l'illustration sonore. Il existe dans la musique l'expression de l'énergie vitale. La pratique musicale représente le miroir de nos existences dans la concertation par l'écoute, pas des sons mais de nos intensions et de nos vécus. Le son n'est qu'un des reflets de la musique : on ne peut plus se baser que sur le son pour faire de la musique.

La musique, après les expériences « à la recherche de la différence » de la seconde moitié du XXe siècle, nous a montré les limites du possible de la différenciation compositionnelle qui tombe dans la monotonie. Il s'agit à partir de ça de comprendre où se situe l'originalité musicale au-delà des théories de la quantification.

 

 

IL EST TRÈS DIFFICILE DE DEVOIR ÉCOUTER UN ÊTRE HUMAIN MUSICIEN MÉCANISÉ PAR L'OBÉISSANCE ABSOLUE

 

Si « la musique contemporaine » aujourd'hui ignorée, a est été évitée par les mélomanes (qui se sont éclipsés depuis 40 ans des salles de concert), c'est, entre autres raisons, qu'il est très difficile de devoir écouter un être humain mécanisé par son obéissance absolue : l'humain ne mérite pas ça.

Si « la musique contemporaine » a été et est tant redoutée à l'écouter, c'est que les compositeurs se disant du camp des « déterministes » (contre le camp des « indéterministes » initié par John Cage, mais qui n'arrivent pas à sonner différent des autres...) (par les grands écarts d'intervalles non répétés sur une seule échelle ?), à vouloir tout écrire (= décrire tous les paramètres sans en laisser même un, libre à l'interprète), sans laisser aucune place à l'interprétation, ni à l'initiative personnelle du musicien, ont voulu, sans vouloir en prendre réellement conscience (« ils ne savent pas ce qu'ils font »), transformer le musicien en machine exécutante. Et ce manque de liberté s'entend clairement dans le jeu de « la musique contemporaine ». C'est ce qui est difficilement audible, dans cette manière d'être à jouer la musique. L'attitude soumise de l'exécutant.

Tout écrire, dans le détail, ne laisse plus de place au musicien à interpréter la musique (la proposition musicale du compositeur se transforme en ordre d'exécution). Cette manière de composer considère l'être humain musicien, une machine exécutrice, tel un soldat qui ne discute pas les ordres. Mais depuis que les séquenceurs MIDI sont apparus en 1989, il n'a plus été nécessaire de torturer les musiciens au nom de l'exploration de l'inouï dans le détail écrit (bien que certains compositeurs jusqu'à leur mort ont continué à torturer les musiciens en utilisant les mesures des nombres ou le séquenceur MIDI comme modèle de perfection à exécuter la musique, sic). Stockhausen le savait, bien qu'il ne pouvait pas l'admettre ou difficilement. Xenakis le savait, mais il ne pouvait l'admettre qu'en constatant l'impossibilité de jouer l'intégralité de ses écrits de musique. Le contrôle totalitaire de l'ordonnance écrite pour la musique tarit la musique. C'est su, la musique n'a rien à voir avec la guerre et l'ordre militaire, même si les guerriers-soldats se sont emparés de la musique pour impressionner l'ennemi par des charges soniques (timbales et caisses claires viennent de la guerre), mais ça, en réalité, ce n'est pas de la musique, mais de la signalisation sonore (ou de la signalétique audio).

C'est pour ça principalement, qu'au XXIe siècle, « la musique contemporaine » est une histoire passée ; comme « la musique classique ». À moins que les interprètes réutilisent les partitions pour en faire autre chose de ce que les compositeurs du XXe siècle exigeaient des musiciens avec leurs écritures déterminées et détaillées. Mais rien de tel ne s'est entendu ni ne s'entendra, car le passé mis au goût du jour montre une carence du présent. Ce, à être incapable de créer sa propre musique soi-même pour s'emparer de celle des autres (morts). En effet, il est difficile de re-prendre une idéologie passée qui ne correspond pas avec l'idéologie du présent, dont les idées se sont corrigées en fonction des égarements idéologiques du passé, dans ce contexte qui est tout aussi cru meilleur que l'autre.

 

 

FAIRE N'IMPORTE QUOI
(ou QU'importe quoi ?)

 

Dans le monde de la musique et de l'art, FAIRE N'IMPORTE QUOI, est une insulte, c'est un libre arbitre de celles et ceux qui font sans pouvoir décider avec « détermination » (du déterminisme). FAIRE N'IMPORTE QUOI, c'est faire quelque chose qui n'est pas prévu et dont la volonté s'absente pour laisser la place à « l'action inconsciente », voire inconséquente. C'est ça ?

Le maître-compositeur (éduqué classique) hait faire n'importe quoi. Le déterminisme a nommé FAIRE N'IMPORTE QUOI : l'indéterminisme. Et quand John Cage a proposé FAIRE N'IMPORTE QUOI, de la musique, à la fois il y avait l'admiration de son audace et à la fois le jugement de son incapacité à savoir maîtriser la musique qu'il était censé composer. Oui, le résultat sonore importe moins que l'état jovial dans lequel les sons sont produits ensemble qui est le sens fondamental de la musique : créer la sympathie vibratoire. John Cage était déterminé à agir d'indétermination pour la musique (autrement dit à libérer la musique savante de son ordre militaire « conduit à la baguette », de son exécution publique, la peine de mort en effet a été abolie tard). La querelle au XXe siècle entre déterministes et indéterministes a créé 2 clans dont le 1er a annihilé le second, car il avait les clés de la salle de concert que l'autre n'avait pas. Et, lire infra l'intolérance pathologique symptomatique (les Américains disent pathétique) à la désobéissance dans nos sociétés occidentales américaines y compris où tout est aménagé pour ne pas désobéir à une autorité (bien qu'usurpée).

MAIS

Si je te dis en tant que compositeur (= initiateur de l'idée d'une certaine musique particulière à créer) : « fais N'IMPORTE QUOI » ; dans l'accord, tu considèreras cette règle de jeu et tu vas t'efforcer de faire du mieux possible FAIRE N'IMPORTE QUOI avec ton instrument de musique.

MAIS

Qu'est-ce que c'est FAIRE N'IMPORTE QUOI avec un instrument de musique ?
OU
Comment est-ce possible de FAIRE N'IMPORTE QUOI avec un instrument de musique ? FAIRE N'IMPORTE QUOI avec un instrument de musique, c'est jouer ce qui n'est pas censé être joué. C'est jouer ce qui n'a jamais été joué. Tâche autrement + difficile que de jouer ce qui est répété. FAIRE N'IMPORTE QUOI avec un instrument de musique, c'est jouer tout ce qui est différent et n'est pas compris dans ce qui est censé être de la musique = convenu de ce que c'est la musique. QU'EST-CE QUE LA MUSIQUE ? FAIRE N'IMPORTE QUOI avec un instrument de musique pose cette question. FAIRE N'IMPORTE QUOI avec un instrument de musique est en réalité un art très difficile qui demande une maîtrise de reconnaître l'inconnu dans l'instant joué à jouer N'IMPORTE QUOI avec un instrument de musique. Pratiquer l'art difficile du hasard ouvre des portes, celles auxquels on ne pense jamais.

AU FOND (caché)

Ça signifie quoi FAIRE N'IMPORTE QUOI ? L'interjection « tu fais n'importe quoi » est un jugement négatif qui sous-entendue signifie : « IL NE FAUT PAS FAIRE N'IMPORTE QUOI ». Dans l'interjection, il y a la négation à ce qui IMPORTE pour ce qui est important. Quelque chose qui n'importe pas est quelque chose qui n'a pas ou aucun intérêt. Une action avec « n'importe » est une action inutile, qui ne sert à rien, mais surtout qui n'apporte rien voire qui ne rapporte rien (= sans bénéfice = gratuite). Mais derrière cette signification lexicale, il y a un sens beaucoup + méprisant qui existe à la fois nié (= absent du vocabulaire) mais qui se révèle dans la situation dans laquelle cette interjection est révélée ou employée ce signifie : TU NE TE GOUVERNES PAS AVEC LES RÈGLES ADMISES CONVENUES. Dire TU FAIS N'IMPORTE QUOI (avec en + le mépris du sourire mué par sa conviction) est en réalité une condamnation. Une condamnation pour désigner ton insolence à désobéir. FAIRE N'IMPORTE QUOI est le jugement d'une personne qui ne comprend pas ce qui est réalisé dans la réalité.

Pour comprendre, outrepassons l'insulte et la condamnation pour FAIRE N'IMPORTE QUOI, car FAIRE N'IMPORTE QUOI c'est faire tout ce qui est possible en dehors de la convention, c'est faire le désordre, c'est désobéir à agir l'ordre, c'est agir en être libre. Pour transformer la condamnation en libération, il suffit de remplacer le n apostrophe par un q u apostrophe : FAIRE QU'IMPORTE QUOI. Faire, libéré du résultat « qui doit obligatoirement plaire » = « consonant, pas dissonant » (sic) pour devenir un objet de mérite, celui du monde des récompenses, des médailles et des palmes, importe moins que le résultat imprévu obtenu. C'est ça que John Cage nous communiquait quand dans ses performances, il nous demandait de FAIRE N'IMPORTE QUOI.

FAIRE N'IMPORTE QUOI est un interdit très puissant, bien qu'il paraisse anodin. Les artistes encore aujourd'hui redoute l'interjection + que tout. La raison ? FAIRE N'IMPORTE QUOI fait que l'oeuvre ne peut pas t'appartenir, ce, pour percevoir et recevoir tes droits d'auteur (et le mérite). Le monde des droits d'auteur (du copyright chez les Anglo-saxons) est le monde qui fonde la propriété et l'exclusivité de l'appartenance qui pour en jouir doit être payée. Ce n'est plus le monde de l'art et de la musique, c'est le monde de l'économie : celui de la rétention qui ne se partage pas avec les autres ; qui est en contradiction avec la raison même d'exister de la musique.

 

 

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