pour qu'une musique originale existe,
a-t-elle besoin d'être écrite et notée ?
Question qui remet en question
la pratique compositionnelle
de la musique savante occidentale
Les compositeurs sériels de la génération précédente ont donné à entendre que combiner différemment les mêmes paramètres : 12 1/2 tons, 12 durées et 6 intensités, même avec différents instruments, donnait à entendre des musiques similaires. Il suffit de quelques principes pour se différencier des autres tendances telle celle de favoriser à répéter les intervalles disjoints avec les rythmes brisés pour donner une identité à la musique. Identité reconnaissable à l'usage et l'audition. La monoscalairité y est aussi pour quelque chose. Mais recombiner les mêmes éléments, est-ce la composition musicale ? Je conçois la composition musicale au-delà de la simple recombinaison d'un matériau donné. Donc il a fallu que je me concentre à d'abord créer des contenants contextuels. [Je pense entre autres à Il m'est impossible de donner un titre à ce phénomène car l'indicible au-delà des bords extrêmes de l'espace et du temps ne porte pas de nom, où le contexte est une guitare classique couchée vibrée avec un bâton collophané, l'écriture de la complexité sonore engendrée obligea l'écriture de la gestualité, autrement dit à une forme de tablature].
à propos, la création musicale
Cette évidence essentielle m'est apparue claire au début de ma carrière de compositeur : la musique est tributaire de l'environnement dans lequel elle est générée. Ça signifie que pour créer une musique originale, unique à forte identité, il faut d'abord créer le contexte qui l'engendre [aujourd'hui ne se repose encore la question de l'inutilité de l'originalité de l'oeuvre d'art de musique]. C'est pour cette raison que je conçois d'abord l'environnement qui génère ou provoque une certaine musique et pas une autre. Ça peut être : une architecture, une disposition sociale ou spatiale, une gestualité, une technique instrumentale ou un ensemble de modes de jeu, etc., toujours unique pour obtenir une musique unique. Une fois le contenant créé, le contenu se crée de lui-même. C'est la même chose, bien qu'à l'opposé, à ce qu'un contenu engendre le contenant. La difficulté pour les musiciens est d'apprivoiser le nouveau contenant ou le nouveau contenu engendrant le nouveau contenant. [Les musiciens, ici, à la pointe de l'Occident, n'ont pas dans l'usage de savoir jouer plusieurs genres de musique de milieux différents.]
C'est pour cette raison de contenu, contenu par le contenant, que je ne m’applique pas « à écrire la musique » dans ses quantifications, avec la symbolisation déjà existante, les musiques que je veux entendre et partager. Derrière la symbolique musicale classique, sa notation, il y a la mécanique des chiffres. Sachant que la quantification a ses limites, celles du contexte de l'écriture qui la produit. Et, quantifier le vivant a quelque chose de profondément anti-musical (et +, si les quantités textuelles sont exécutées, au contraire d'être interprétées). Donc, à chaque musique ou à chaque composition musicale, je crée d'abord l'écriture, la gestualité, avec sa grammaire comportementale qui la contient et la génère. Et remettre la quantification à sa place comme signes de repères et non comme gestes de commandes.
un contexte provoque, un contenant forme
Il faut savoir qu'il existe toujours plusieurs contextes qui s'emboitent les uns dans les autres : de l'architecture à l'écriture à « l'atelier de répétition ». Un contexte n'est jamais seul. J'ai même relevé qu'il n'y avait plus besoin d'écriture [graphique], une fois les contextes précisément posés et mis à disposition des musiciens. C'est pour cette raison que je ne combine pas les mêmes symboles (ni ceux usuels de la musique classique) pour tracer différentes partitions, car il suffit parfois de quelques mots ou de quelques gestes pour faire jaillir une musique unique, exactement comme elle fut imaginée. Cette manière s'expérimente et se réalise mieux avec des musiciens au fait de cette réalité ou qui sont sortis de la routine partition-lecture-concert. [Je pense aux musiciens de mon ensemble Ono Lulu Filharmonia 1984-1990 avec lequel on a pu enregistrer 2 albums : Je suis d'Ailleurs en 1986 et La Commedia del Suono en 1988].
apparence et fondation
Au commencement de mes études de compositions, je me disais : « autant prendre directement les signes de notation musicale pour composer une musique », un compositeur avait même rédigé un dictionnaire répertoire des notations musicales du XXe siècle, sans parler du Karkoschka [das schriftbild der neue musik]. Assembler les symboles que je préfère et hop la composition est écrite et ça fera une musique ! C'est l'erreur de tout étudiant :) Parce qu'on ne perçoit pas, au début, que la notation et l'écriture (comme tout langage, et surtout informatique) sont des discontinuités [de valeurs discrètes = séparées de ce qui est autour] qui se veulent décrire la continuité [analogique = tout ce qui lié à tout ce qui est autour]. La musique à l'inverse des mathématiques (qui se sont détachées de la réalité tout en voulant la reconstruire) est liée à tout ce qui est autour et liée à tout ce qui est dedans aussi. Le mariage ou la fusion de la séparation avec la liaison est une impossibilité physique ou immatérielle du vivant et du vibrant.
Oh bien sûr, ça peut se rapprocher, mais jamais se toucher ! C'est pour cette raison que l'écriture musicale classique retient quelque chose de pervertissant [qui pervertit l'usager]. Ce que nous vivons aujourd'hui. Tout compositeur doit savoir cette perversion, sinon il n'agira qu'en imitateur. C'est ce que nous vivons aujourd'hui. Le langage musical (tout langage), avec ses notations, est aussi dangereux que des produits chimiques toxiques.
Et c'est là qu'on se pose la question :
alors, à quoi sert écrire la musique ?Eh bien la première chose à quoi l'écriture musicale sert est : de marquer les volontés de synchronicités. L'écriture musicale est née avec la psalmodie chorale du « chant grégorien » (qui n'est pas de Grégoire, mais de Charles le grand = magne), mais elle prend tout son sens avec les compositeurs de l'Ars Nova qui font naître la polyphonie chorale au XIVe siècle. La synchronicité sert à obtenir des accords. Propre à la musique occidentale savante. Accords qui se calculent par scalairité. Autrement dit : sans synchronicité, il n'a pas d'harmonie. Écrire le temps pour sonner ensemble en même temps. C'est à ça que sert d'abord l'écriture de la musique. Sachant que la synchronicité absolue est une impossibilité formée par le contenant spatio-temporel. Si la synchronicité absolue existait, les intervalles (de temps) n'existeraient plus. Et ce sont les intervalles qui les multitudes de sonorités à la musique. Intervalles qui sont à la racine des échelles (de tons) et de l'harmonie des accords.
Ensuite, la complexité quantifiante des partitions du XXe siècle n'est pas une première ! Le solfège de l'Ars Nova au XIVe siècle était tout aussi complexe, ça, par la multiplication des signes, au point qu'il devint impossible aux musiciens interprètes de déchiffrer la volonté des compositeurs (sic). C'est là que l'interprétation est revenue en force pendant que la musique savante était dominée par l'exécution. Je pense aux complexités rythmiques qui emboitent plusieurs couches de valeurs rationnelles [nommées irrationnelles]. Exemple : chaque coup d'un quintolet est divisé par différentes valeurs : duolet, triolet, etc., où, ou, c'est une manière de faire que le tempo ne soit pas une pulsation mécanique (bien que divisée, elle le soit), mais « le rubato d'un bateau qui tangue » sur les flots d'une mer calme à agitée, jusqu'à la tempête, jusqu'au silence de l'immobilité (sans vent, sans brise) (de la mer d'huile à la mer de glace). Sont les champs de l'espace-temps qui donnent à comprendre que pour se lier aux mouvements vitaux avec la musique, on ne peut en être séparé par la vision d'un écran dessiné de symboles de mesures.
Donc, contrairement à mes prédécesseurs [Xenakis et Stockhausen], je ne cherche pas à étaler sur des feuilles de papier des complexités quantifiantes, qui est la cuisine du compositeur pas du musicien, mais au contraire à simplifier l'accès (à l'idée génératrice de la musique) - à l'extrême du possible - à rendre la notation évidente pour être compréhensible au premier coup d'oeil, jusqu'à pouvoir s'en passer pour jouer, ça pour pouvoir obtenir la complexité vécue de l'intérieur des turbulences incomprises de la matière organique ou vivante en mouvement, « sans se prendre la tête » pour rien (sic). Et non pas d'un ordre extérieur qui rend la musique factice (avec l'expression absente de sa raison d'être).
L'arrivée du séquenceur numérique dans les années 80 avec une approximation de la durée à pouvoir diviser la valeur du tempo en 960 (dans le monde du protocole MIDI) est un outil qui a pu facilement sonner toutes les complexités rythmiques écrites par les compositeurs du XXe siècle. Et. On les a entendues précisément ! Les premiers séquenceurs offraient la possibilité de superposer des tempi différents par piste. Oui ! Les premiers séquenceurs offraient la possibilité de préciser quantitativement toutes les valeurs rationnelles (de l'ensemble R des réels ou des quotients Q nommés musicalement ou faussement irrationnelles, et pas que le triolet ou les valeurs pointées, sic). Ces programmes ont été ensuite simplifiés, car la clientèle majeure, ce sont les amateurs. L'amateurisme dirige depuis la fin des années 90 toutes les décisions de l'industrie des outils et des instruments de musique (tel que le développement économique du home studio après l'effondrement de l'industrie du disque) [si la synthèse par modulation de fréquence a été abandonnée c'est parce que les amateurs n'y comprenaient rien à être incapable de la maîtriser, sic] : « aujourd'hui aucun séquenceur ne peut plus faire ce qu'un Cubase dans Atari pouvait faire dans les années 1990 ».
Cette longue courte histoire turbulente de la notation et de l'écriture musicale 1980-2020 ou 1960-2000 qui avec les machines numériques pouvait aboutir à une complexité mais qui a été simplifiée uniquement pour la (mauvaise) raison de l'enrichissement, ça, pour croire détenir le pouvoir sur les autres, alors que la réalité est contraire, histoire courte qui s'achève dans une déroute est dans l'histoire de la musique occidentale savante une déviation qui devrait être comprise pour reprendre le chemin de la création musicale, tout en abandonnant le refuge de l'imitation.
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