Quelle est la différence entre :
improvisation musicale
&
musique jeu ?
Irénée Lajemait - Quelle est la différence entre l'improvisation musicale et la musique jeu ?
Mathius Shadow-Sky - Il règne là quelques confusions qu'il faut éclaircir ! Ce qui est nommé la musique improvisée (qui se différencie de l'improvisation musicale usuelle encadrée) est une pratique qui historiquement continue ce que le Free jazz a commencé. Le Free jazz étant banni des scènes du monde du jazz à partir de la fin des années 70 du XXe siècle, ses pratiquants lui donnèrent un autre nom, celui de « musique improvisée », pour pouvoir continuer à improviser la musique en concert. La « musique improvisée » s'est aussi alimentée des découvertes réalisées par les compositeurs de l'avant-garde de la 2de moitié du XXe siècle (de la musique contemporaine). Mais cette musique sortie du jazz, même pour certains avec une part de rock and roll, devenue un genre à part (sic) n'a jamais réussi depuis les années 80 à sortir des concerts clandestins. La « musique improvisée » est une affaire d'instrumentiste. La musique jeu (non-stratégique ou carrollienne : avec les règles qui changent pendant le jeu) naît en 1980 avec Ludus Musicae Temporarium. La musique jeu pour exister a besoin d'abord d'être composée. Comme la création d'un jeu ordinaire, mais destiné pour la musique. D'abord par réaliser le concept qui forme la base ludique qui servira au développement de la musique. 2 jeux se mêlent dans la musique jeu : le jeu du jeu et le jeu instrumental (il manque ici du vocabulaire !). Contrairement aux compositions musicales classiques, qui sont linéaires, la composition d'une musique jeu qui est matricielle (c'est-à-dire avec des causes multiples et des effets multiples ou des entrées/sorties multiples). Pour concevoir une musique jeu on doit connaître « toutes les possibilités et les solutions de son développement » de manière à pouvoir en simplifier l'accès. Une musique jeu [carrollienne ou shadow-skienne] loin de la quantification, favorise l'interaction des relations des comportements humains musiciens dans la sonnance orchestrale. Les musiques jeux, insistons, ne sont ni stratégiques, ni compétitives. Au contraire du combat, du gain et de la récompense (qui sont des « appâts » extérieurs au jeu, tels le salaire ou la médaille), mes musiques jeux remettent en question tous les principes figés de nos sociétés, solidifiées par la croyance et le déni, qui nous interdisent de nous épanouir. Comme pour les jeux usuels, la musique jeu rend aux musiciens la responsabilité qu'ils elles ont perdu avec l'écriture musicale mesurée ou quantifiée. Un joueur n'est pas un exécutant. La musique jeu amène, par la simplicité d'accès, une souplesse à l'interprète, qui manque dans nos relations humaines raidies par l'exécution exacte quantitative et environnée de l'hostilité générale par la terreur qui règne dans nos sociétés (du travail), ça pour pouvoir démêler, comprendre et sonner la belle complexité du monde aux relations humaines. Surtout, la musique jeu ramène les musiciens au présent.
IL - La musique jeu est-elle un engagement politique ?
MS - Je n'irais pas jusque-là ! La politique est la gestion commerciale des individus et des populations pour que leurs existences soient rentables, la musique jeu donne à maîtriser nos relations comportementales dans la musique.
IL - Improviser, est-ce que ça signifie « jouer qu'importe quoi » ?
MS - C'est ce que les ignorants veulent croire ou s'imposent à croire pour que cette pratique ne soit pas publique (mais interdite). Il existe une véritable censure publique, voire une haine publique contre la musique improvisée.
IL - Comment est-ce possible ?
MS - Parce que c'est une pratique musicale qui s'efforce de faire entendre la liberté. On ne veut pas savoir que la liberté artistique a été chassée du domaine public par renfort de « politique culturelle » (en 40 ans de guerre 1981-2021). Il y a donc un mépris général mêlé de crainte envers « la musique improvisée » (qui n'est pas l'improvisation musicale, d'un solo par exemple) de la part du public, de ce public esclave qui n'improvise pas (= qui ne font pas « n'importe quoi » sic), mais vivent à obéir pour « respecter l'Ordre public de l'Empire de la République » (sic). Les esclaves et leurs maîtres ne valorisent que la musique exécutée (= obéissant l'ordonnance écrite d'une partition ou d'une machine). Dire qu'improviser la musique c'est faire n'importe quoi signifie que cette pratique musicale dérange parce que jouer librement fait entendre la liberté (tant détestée). Mais ce n'est pas vraiment le cas. La musique improvisée, telle qu'elle est pratiquée depuis 1/2 siècle (après le Free jazz) est en même temps le lieu où les stéréotypes survivent. En pratique, la musique improvisée, à jouer les mêmes instruments qu'autrefois, avec la même technique, est limitée et par la théorie musicale qui les fabrique et par les techniques instrumentales qui découlent de cette théorie qui impose une gestualité qui ne se renouvelle pas. Elle est devenue une tradition ! Les stéréotypes sont des gestes (appréciés et) répétés des musiciens (improvisant). Ce que les musiciens d'avant-garde de la 2de moitié du XXe siècle au contraire développèrent intensivement en proposant une grande quantité de nouveaux instruments bricolés avec de nouvelles manières de jouer (composé de « modes de jeu » inouïs, c'était « à la mode ! »), au XXIe siècle, cette effervescence inventive s'est éteinte. En +, il y a eu « une branche soloïste » de la musique improvisée, forgée par réaction de souffrance égoïste de certains musiciens en manque de reconnaissance, de moyens et d'un minimum financier decent ? ou par excès de concerts clandestins (= sans public), où ces musiciens ont développé une technique si particulière qu'elle en devint leur « marque » (sic). Ça uniquement pour se distinguer (des autres) pour obtenir des contrats d'engagement payés à concerter partout où c'est possible. On perçoit là l'hostilité de la concurrence dans une pratique que se veut libre (sic). Le problème est que ces musiciens se sont figés dans une musique qui les signale. Rien d'autre ou si peu. Après, comment 90 minutes de concert jingle peut être tolérable ? importe peu, le fait est que ça a existé (et que ça n'existe presque plus).
IL - Comment l'improvisation musicale peut sonner l'affirmation de la liberté ?
MS - C'est là où les notions s'amalgament pour se confondre : les musiciens pratiquants confondent l'impro, l'improvisation, la liberté et l'instinct. La pratique persiste à croire que la musique improvisée est une pratique sans règles : « la musique à partir de rien » (sic). Toute improvisation musicale repose sur la matrice de la théorie musicale représentée par l'instrument joué. De nouveaux gestes sont à inventer, mais ne le sont pas. Le problème est que la musique improvisée n'invente rien depuis 1/4 de siècle, voire, n'évolue plus. Si cette pratique n'évolue pas, c'est qu'elle ne se donne pas les moyens de se développer, autrement dit, elle se croit suffisante pour générer l'originalité qu'elle n'arrive plus à atteindre depuis des décennies. Jusqu'à en devenir elle-même stéréotypée.
IL - Mais le stéréotype est à l'opposé de l'improvisation !
MS - Oui, c'est là tout le problème de toute la contradiction de cette pratique musicale qui manque de savoir compositionnel. Dans l'inconnu de la musique, dans le vide de « je ne sais pas quoi faire », c'est là qu'apparaissent les stéréotypes. Ce sont généralement des réactions, provoquées par des peurs du vide du silence avec la volonté de vouloir se raccrocher à quelque chose de familier, et on a : 1. se signaler, par jouer un son répété identique, 2. se rassurer par se confirmer encore une fois, par répéter le même son 2 fois en +, en écho, telle une réponse à soi-même « oui j'existe bien », 3. la réaction coup sur coup : « le coup d'un autre pour le coup immédiat de moi » au cas où les autres le croient endormi ; l'interaction n'est pas la réaction, la réaction est le résultat d'un conditionnement, 4. ponctuer, sonner un coup concluant pour s'affirmer de la fin, telle une imitation de la cadence harmonique (sur tonique), 5. l'abus de virgules, à jouer des tons des sons intermédiaires sans lien avec le contexte de la musique et qui brisent le suspens, « lâcher un son comme ça » peut avoir l'effet comique d'un pet, par exemple un coup de cymbale au milieu du silence, 6. remplir le vide par la répétition régulière à rejouer la même chose en boucle sans savoir quand s'arrêter, etc. Ça, peut faire une amorce de musique jeu qui se construit à partir de règles de jeu (qui évoluent/changent dans le temps) qui évitent les stéréotypes en accord avec les joueurs musiciens de l'ensemble. Le champ opératoire de la musique jeu est immense contrairement à la musique improvisée.
IL - Qu'est-ce que propose la musique jeu ?
MS - Elle propose d'abord de prendre conscience de la limitation de l'improvisation et ouvre ensuite une issue à l'impasse des « oeuvres ouvertes » par donner du sens (une raison) au jeu instrumental. La musique jeu considère le problème de l'improvisation à sa racine. C'est pour cette raison que de la musique jeu émerge de nouvelles théories musicales, de nouvelles techniques qui forment de nouvelles grammaires gestuelles pour entendre d'autres comportements instrumentaux et donc musicaux. Et surtout, elle ne nie pas qu'un jeu instrumental « sans règle » est déjà une règle de jeu. La musique jeu se défait des stéréotypes de la musique improvisée. Et emmène les musiciens joueurs dans le monde matriciel (et les sort du monde linéaire automatiqué), et développe leur ubiquité musicale.
IL - Pour reprendre ce qu'on confond dans la pratique musicale instantanée : improviser, liberté et instinct, en quoi se distinguent ces 3 pratiques ?
MS - La liberté, tout le monde sait ce que c'est, mais personne ne sait l'expliquer. Au contraire de la musique : personne ne sait ce que c'est, mais tout le monde l'explique. Il existe différents instincts : le premier est réactif, pas libre puisqu'il réagit à quelque chose qui est reçu. Vinko Globokar l'a même formalisé, formalisant l'improvisation qui en soi est informalisable ! Vinko proposait une musique réactive. On confond la réaction avec l'interaction. L'interaction reste autonome ce que la réaction n'est pas. La réaction dépend de l'action. Une musique réactive n'est donc pas une musique libre, car ses choix sont réactifs et répertoriés. Est-ce ça la liberté ? Non. Cette restriction réactive donne-t-elle l'illusion d'être libre ? ou forme un jeu limité avec des règles restreintes immuables ? Ni l'une ni l'autre. On entend par liberté que « tout est possible », incluant braver les interdits, mais surtout provoquer des musiques inattendues. Pour connaître « tout ce qui est possible », il faut d'abord pouvoir tout se figurer, à savoir quoi « tout est possible » dans le contexte donné. D'où, la capacité d'ubiquité. Et sans être enseigné à la pratique des matrices de possibles, l'improvisation instrumentale sonne restreinte et se répète. Et sa liberté crue de jouer ce qu'on veut au moment qu'on veut est alors une illusion. Le savoir et le travail compositionnel donc s'imposent, pas celui « d'écrire des notes à jouer », mais celui de connaître au + profond de partout le contexte musical de sa liberté. C'est là où le compositeur improvise. Sans schéma à reproduire. Parce que pour ça, il doit sans cesse inventer. La musique jeu apporte de nouveaux gestes et donc de nouveaux comportements musicaux.
IL - Avec la musique improvisée, il y a bien la volonté de l'inouï qui est poursuivie ?
MS - C'est l'inouï qui dirige le jeu musical improvisé, ou le devrait. Mais sans théorie musicale différente ni instrument différemment joué, l'inouï recherché ne sera pas atteint. Quant à l'instinct, il y a aussi différents types. L'instinct réactif on en a déjà parlé. Il y a l'instinct temporel qui est une capacité développée de jouer l'instant qui par exemple réalise des synchronicités inattendues et bienvenues. L'instinct temporel utilise une forme de communication instantanée vibratoire, non intellectualisée, qui donne à pouvoir jouer dans les profondeurs infinies de l'instant : l'immédiateté intuitive. C'est une capacité connue des grands musiciens et ignorée des autres.
IL - Donc la musique jeu n'est pas une musique improvisée ?
MS - Elle est + que ça, car toute musique jeu réussie développe l'imagination, la dextérité et l'ubiquité et, à force de pratique, les joueurs peuvent devenir d'exceptionnels virtuoses !
IL - Ne défendez-vous pas votre bébé ?
MS - Il fallait trouver des solutions pour que la musique ne stagne pas dans son passé. C'est à quoi se destine le métier de compositeur : développer la musique, ce qui fait qu'elle a une histoire, qui sans elle n'en aurait pas. La perception matricielle multiplie ce que la perception linéaire réduit.
IL - Ce qui est étonnant est que le monde oublie qu'il vit tous les jours de l'improvisation, à improviser. Toute situation imprévue est agie par être improvisée. Sans improvisation, nous serions incapables de gérer l'inattendu. Ça ferait de nous les humains des biologiques mécaniques qu'obéissants. Mais ce n'est pas le cas. L'improvisation journalière est niée, mais ça ne signifie pas qu'elle n'existe pas.
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