La peur est un limiteur

le débordement de la saturation de la peur

 

I

 

La peur a la fonction pratique et unique de limiter : d'avoir été éduqué à poser la limite à ne pas franchir. La peur est la frontière qui trace la géographie de l'interdit. La peur est le ciment d'une société : pour que ses individus restent dépendants. La peur regroupe. Le regroupement rassure d'être encerclé par les sujets de sa frayeur. Une résistance à devoir rester ensemble. Peur et interdit (ou tabou) sont intimement liés, où l'une sert l'autre. La peur ne s'éduque pas par la raison, mais par le sentiment d'attachement de l'affection. Une ligne claire de démarcation qui se pose délicatement de soi-même en soi-même sans le (sa) voir.

La résonnance émotive de la peur est une sensation très intense, car elle s'exprime par des images de terreur. Le pire (sans visage) s'envisage, un invisible effroi qui se manifeste par la sensation d'abord désagréable puis plus loin, par la sensation de l'insupportable. Ce faux chaos est ignoré de notre conscience quotidienne, mais est présent en constance dans notre inconscient accidentel. Il est forgé par chaque culture avec des images. Nos sociétés occidentales des religions monothéistes du livre (juive, chrétienne et musulmane) parlent de l'enfer avec des monstres et des souffrances terrifiantes et éternelles et autres diableries. La culture du monstre sanguinaire, pervers et terrible est propre à la culture occidentale. La culture extrême orientale est plus terrorisée par les fantômes* (la vengeance des morts). L'image de l'effroi, la peur ne réside que dans l'imaginaire de la souffrance**. Un imaginaire collectif éduqué et cultivé par des images.

La puissance de la peur est si bien encrée, qu'elle a ce pouvoir incroyable de faire perdre conscience (le contrôle de soi) ainsi que la peur de perdre ce contrôle de soi, si l'on franchit les limites de l'interdit. Une peur décanalisée, par une éducation dans la terreur, va se réfugier dans les phobies. La peur fait surface dans la conscience et ne permet plus de distinguer le réel social de l'imaginaire social, ses tabous. La peur fait perdre le contrôle de soi avec la panique qui exulte l'effroi de vouloir perdre conscience dans le néant : l'évanouissement. L'évanouissement est une réaction physique face à l'insupportable. Attention, perdre le contrôle de soi tout en étant conscient et s'évanouir sont deux réactions distinctes. Dans l'une on souffre, dans l'autre on disparait.

Avec soi, la peur exprime les appréhensions de ses limites physiques dans le contexte de l'interdit social. L'expérience des anciens montre que c'est impossible et se pose par un interdit : une loi.

Imaginons à quel point notre esprit est malléable pour se faire faire croire à des images terrifiantes qui n'ont aucune manifestation dans la réalité ! La fuite face à la peur est conditionnée comme un réflexe. Le contraire sera considéré comme anormal. La peur empêche de savoir. Une obéissance à l'ignorance. La peur préserve l'ignorance. Mais épargne les dominants gouvernants. La peur est un effet manipulatoire. La peur est un gardien très efficace qui a le pouvoir d'être inexplicable. La peur forme l'éducation qui forme l'individu. L'autorité est une des résultantes sociales de la peur. Car la peur s’est emparée à former les individus sous contrôle. Des individus peureux obéissent sans être commandés à obéir. Le courage demande un déconditionnement de sa peur. Sa peur qui forme son être social. La peur fourvoie l'inexplicable d'être naturel (normal) : pour ne pas être pensée. Ou : il est impensable de se laisser envahir par la peur. Rien dans le réel tel quel ne justifie la peur. Que le désir volontaire d'être dominé, d'être agi par une autorité : la peur est la manifestation de son irresponsabilité de se laisser manipuler.

La peur est une escroquerie sociale. La peur est l'escroquerie culturelle de l'ignorance. Qui maintient le bétail humain dans l'enclos des lois au-delà des barrières infranchissables. La sensation de la peur est une projection imaginaire de la terreur qui hante nos rêves. Le champ terrifiant de l'inconscient cru comme espace commandé de soi : il n'en est rien. L'objet de la peur est la punition.

La punition (et la récompense) est la base de l'éducation, du conditionnement, du dressage pour l'obéissance. L'abus dans notre vocabulaire socio-culturel est un délit, mais l'abus est l'action de transgresser sa peur : l'expression du courage. Un abus n'est jugé que par une autorité qui se donne le pouvoir de juger de l'abus. Ceux qui infligent les punitions. Mais la peur n'a pas besoin de prison (punition), elle a pire : le regret. Le regret de sa faute (le mea culpa de l'auto-punition), autrement dit, être convaincu de sa culpabilité. Infliger la culpabilité (à un enfant : celui qui obéis qui ne parle pas qui ne discute pas) est une arme redoutable à s'autopunir. Mais pour se sentir coupable, il faut se sentir responsable, ce qui est en contradiction avec le fait d'obéir. Mais la perversité de la domination a poussé la croyance à être « responsable de son obéissance ». Irresponsable aujourd'hui signifie désobéir. La punition règne dans la contradiction. Dans l'irresponsabilité de son ignorance.

Un interdit s'injecte par une croisade morale; celle d'introduire une idée accompagnée de sa peur pour qu'elle soit considérée pour une vérité. La peur du châtiment (de la punition). Une vérité énoncée accompagnée de sa peur ne se vérifie pas. C'est la base des campagnes des religions et des politiques de domination pour s'approprier des fidèles : autrement dit, des croyants (ou des votants contemporains). Dans le cas contraire : aucune vérité n'est crue croyable, et il n'y a pas de croyants. Imaginons une société sans croyants... Wow. Cela parait encore tellement infaisable...

 

Notes
* voir les films d'horreur de ces différentes cultures.
** Souffrant, nous n'avons plus peur puisque nous souffrons. Souffrance et peur ne fonctionnent pas ensemble. La peur ne fonctionne que dans l'appréhension : la vision d'un futur pire. La souffrance ne fonctionne que dans le présent : l'instant de sa douleur. Notre esprit ne peut pas vivre deux temporalités au même moment. Quoi que.

 

suite

re tour à la table des matières