L'ORALITE réponse de François Rossé Je ne sais si on peut descendre en bloc la pertinence de l'écriture, de toute manière il est trop tard, l'écriture s'est élaborée progressivement depuis plus d'un millénaire avec des propositions qui valent tout de même qu'elles existent. L'écriture est un outil difficile à contester en bloc, que ce soit dans la littérature ou dans la musique. En outre notre réelle tradition musicale occidentale historique s'appuie autant sur l'oralité que sur l'écriture; si Bach a pu écrire dans les styles italiens, français, anglais alors qu'il n'est jamais sorti de l'Allemagne c'est grâce à la coutume des joutes en improvisation qui étaient courantes à l'époque baroque quand des musiciens se croisaient. Le problème ne s'est vraiment posé qu'à l'époque de Bonaparte dans les créations des conservatoires modernes destinés à remplir les orchestres militaires et civils et qui ont débouché sur une sorte de pédagogie fonctionnelle dans nos conservatoires perdant toutes les humanités. La transmission a été caricaturale à ce moment-là, mais c'est relativement récent dans notre tradition occidentale. Je crois ce qui est à éviter, ce sont les exclusivités, l'exclusivité de l'écriture peut effectivement être figeante, mais l'exclusivité de l'oralité dans notre tradition occidentale spécifique n'est guère viable non plus en raison de la rupture avec la tradition orale originelle. Je pense que notre équilibre se construit entre les deux médiums : oralité et écriture, l'un enrichissant l'autre; c'est tout de même l'écriture qui a permis l'évolution du langage musical occidental (même si on peut le regretter sur certains plans) en créant un continuum de la monodie du haut moyen-âge à l'espace acoustique actuel en passant par les situations polyphoniques, harmoniques, timbrales jusqu'à l'ouverture acoustique. A partir de ces outils que sont l'écriture et l'oralité, ce sont les attitudes de chacun qui sont diversifiées dans le degré de tolérance ou d'intolérance, bien entendu l'écriture peut aller des pires situations aux plus géniales des situations, mais c'est idem pour l'oralité. Pour ma part j'essaye de ne rien mettre dans la poubelle de l'histoire, de me nourrir au maximum de mon histoire occidentale que je me revendique (arrêtons le racisme anti-blanc aussi) du grégorien à nos jours et de réactualiser ma démarche sans négliger cette mémoire. Evidemment c'est du boulot pour ingurgiter l'essentiel de cette aventure musicale, mais c'est du boulot aussi pour assumer un raga indien très lié à la mémoire orale soit, mais codifié aussi avec une certaine forme d'écriture sous-jacente. je pense qu'opposer oralité et écriture est vraiment un faux problème, dans notre tradition ce sont des médiums complémentaires qui peuvent s'allier ensemble, et je pense que mes improvisations sont largement nourries par mon expérience de compositeur et que mon écriture bénéficie de mon attitude d'improvisateur, restons positifs, il n'y a rien à mettre dans la poubelle, amitié, François réponse de Mathius Shadow-Sky Merci pour ta réponse François, Je n'avais pas dans l'idée de condamner l'écriture musicale dans ce texte (et vais me relire si je laisse planer ce doute), mais de montrer sa limite. Sa limite à transcender au-delà de sa représentation planifiée. Ce qui est regrettable, c'est de rester sur une tradition qui refuse de s'enrichir de possibles au nom d'exploitation commerciale d'édition non viable qui est un faux problème et autres. Les passerelles posées par nos prédécesseurs comme Karlheinz Stockhausen, John Cage ou Dieter Schnebel entre autres proposent diverses directions abandonnées. La théorie des champs scalaire propose un élargissement de l'écriture avec une conception harmonique mouvante multiscalaire. Dans ce champ bien précis, la notation et l'écriture font encore défaut à sa pleine expression. Les instruments acoustiques manquent aussi. Je propose quelques pistes qui ne me semblent pas encore convenir, comme l'élargissement de la portée. Comment noter une multitude d'échelles, modes et gammes dans un même espace pour un orchestre ? et avec quels instruments ? Mes partitions-jeu depuis 1980 proposent une écriture par algorithmes. Mon écriture ondale depuis 1982 propose une continuation de ce qu'avait proposé Iannis Xenakis dans un champ mesuré. Mon écriture-tablature depuis 1983 propose l'écriture de la gestualité sur l'instrument. Tout ça pour sortir de la notation classique et aller au-delà découvrir autre chose. Le musicien boude la différence. Le champ scalaire nonoctaviant est bien une ouverture. Ensuite, je ne t'apprends rien, notation et écriture sont 2 choses différentes, l'écriture forme une grammaire puis un style personnel pour chaque compositeur ; une notation est un ensemble de signes abondamment proposé au XXe siècle. Mais dans cette signalétique abondante, l'installation de grammaires fait encore défaut, et + encore du fait de son abandon. On peut même dire que l'improvisation évite de résoudre le problème (je pense à la musique d'objets). Il n'y a pas de rejet de l'écrit pour l'oralité et vice versa, il y a une remise en équilibre entre une écriture ouverte dont les propositions de Xenakis d'écriture hors temps et d'écriture en temps rentrent en compte. Ce texte essaye de dévoiler l'idéologie sous-jacente propre à l'écriture en Occident. Une fois le concept connu, ça aide à le dépasser. Il est important de savoir ce que quoi on manipule pour ne pas être manipulé. Voilà dans l'élan, Je ne suis ni raciste anti-Blanc ni adepte de l'expulsion d'acquis, au contraire : tout le monde est là ? La théorie des champs scalaire englobe l'harmonie tonale avec sa proposition de modulation et de superposition de tonalités. a+ mathius La proposition de notation d'échelles multiples est ici http://centrebombe.org/livre/10.3.html Réponse de François Rossé Bien sûr que l'écriture a une limite, c'est un document lyophilisé de la réalité musicale, ce qui a au moins l'intérêt de laisser une bonne place à l'interprète, c'est idem pour un texte théâtral par rapport à un acteur qui va donner chair au texte... est-ce évitable ? ou même est-ce souhaitable que ce soit évité ? Heureusement qu'il y a des imperfections pour laisser se glisser des imprévus non écrits... il est vrai que le problème de l'écriture musicale est qu'elle est analytique et s'oblige à décomposer sur le papier tous les paramètres d'un son émis ce qui alourdit son état alors que le phénomène lui-même est simple, c'est en ce sens qu'effectivement, l'écriture ne peut se soustraire d'une tradition orale... Beñat Achiari m'avait demandé de lui écrire quelque chose, si tu le connais tu sais que la manière dont il chante est in-écrivable dans les formes d'énergie, j'ai donc pris une position d'écrire quelque chose de très simple, mais donnant tout de même une direction dans la poétique, et nous finaliserons le tout oralement ce qui me paraît justement une bonne liaison entre écriture (qui n'a jamais prétendu tout résoudre) et oralité... l'écriture permet de mettre les secondes en centimètres, et donc de ne pas être tributaire du temps réel dans la conception d'un déroulement musical, ce qui n'est pas inintéressant tout de même au niveau de la spéculation poétique (quand Xenakis travaille le temps en situation « hors temps » c'est tout de même intéressant), plutôt que de dire que l'écriture a ses limites, ce qui est une évidence, je préfère soutirer de l'écriture ce qui est intéressant de soutirer et idem par rapport à l'oralité, je pense que c'est dans l'harmonisation de ces deux médiums que se trouvent les solutions les plus pertinentes, à chacun de trouver sa propre harmonisation, plus penchée vers l'oralité ou plus penchée vers l'écriture suivant les cultures et les envies, et basta pour le reste. A présent l'écriture implique un millénaire de notre tradition occidentale, elle est peu évacuable et les meilleures révolutions sont celles qui s'appuient sur la mémoire et non l'amnésie parfois prônée dans les années 60 et dont on a vite vu les limites bien plus présentes que dans l'écriture reconnue pour ce qu'elle est... personne n'a inventé la musique, c'est une longue filiation humaine dont les expériences se partagent entre oralité et écriture, du moins en occident, François réponse de Mathius Shadow-Sky Oui, l'écriture musicale comme elle est conçue, est une mesure contrairement à l'écriture verbale qui phonétise par la lettre : noter (classiquement) la musique paramètre le son : hauteur (point haut/bas), durée (distance horizontale). L'opération d'un quadrillage où le compositeur pose des points localisés par le cadre. Ce que je montre ici : http://centrebombe.org/livre/7.1.html est le problème, la restriction même, de l'écriture de la musique occidentale, repose dans ce quadrillage. La théorie des champs scalaires ne propose aussi qu'un quadrillage, mais multiple qui devient vite illisible suivant le nombre d'échelles (cycliques = cercles, noncycliques = droites, et semicycliques = courbes) mises en jeu. C'est bien là l'illisibilité qui est intéressante qui transcende l'écriture de la mesure par trop de mesures différentes mises en jeu. Un jeu musical à plusieurs gouvernants. Oui « les secondes en centimètres pour ne pas être tributaire du temps réel » est un fantasme de divination qui est l'aura « magique » dans laquelle baigne le compositeur de musique : « écrire/préVOIR une musique magnifique ». C'est le rôle social du « compositeur déterministe qui doit contrôler tout », mais que la réalité de la musique contredit, reste une croyance voulue bien accrochée : le « prestige du compositeur » (sic) est en jeu. John Cage s'est accroché à ça, à donner des durées précises déterminées fixées qui ne s'interprètent pas dans ses partitions graphiques aléatoires : non la durée du morceau est déterminée et l'intention ne l'est pas, est un paradoxe, ou : « on te permet un temps de liberté, juste un temps compté mesuré (récréation) dans notre contexte servile ». La durée fixée de la musique en fait un objet (de consommation auquel on peut (im)poser un prix de vente : une implication du marché de l'édition). Le paradoxe de la « volonté d'ordonner » la musique par la quantification, la partition classique souhaite gouverner, elle donne des ordres (pour les musiciens qui veulent « bien » s'y soumettre) au lieu de proposer, de disposer du contexte et de l'intelligence. Cette mesure du temps unique oblige, telle une horloge à exécuter les durées (le tempo du métronome). Une partition est une ordonnance écrite et signée du compositeur qui pose une propriété (un « droit de péage ») et une mécanisation de l'humanité servile. Les ramifications idéologiques de l'écriture de la musique occidentale sont politiques. Dans la tradition chrétienne, se gouverner et gouverner, c'est être libre. Le gouvernant est libre, mais le gouverné ? Le croyant, le fidèle reste : un esclave. Le christianisme est une religion qui était censée libérer les esclaves : ce qui est cru : en fait, le christianisme est une religion de l'esclavage avec un seul maître à vénérer et à servir. Lis les 10 commandements, tu vas comprendre. Dans notre écriture musicale classique, c'est ce grillage qui me chagrine (dont mon écriture ondale fait partie). C'est dans ce sens que j'ai proposé la « partition-jeu » qui est à la fois une évolution de « l'oeuvre ouverte » tant attaquée par les « compositeurs déterministes » comme Boulez et ses enfants (tout en reconnaissant que le déterminisme est une illusion dans son texte Alea dans Relevé d'apprenti). Le contrôle absolu passe par la visualisation du rythme (le temps) pour le considérer, le comparer, le faire jouer. Mais le grillage (GRID, quantize to the grid) fixe de l'horloge unique uniformise : c'est l'idéologie mécaniste totalitaire (que dénonce le contr'un de La Boetie) = (pré)voir et diriger le monde qui en musique est depuis longtemps (années 80) dépassée. Connaître les limites du contexte est primordiale pour pouvoir les transgresser, faire évoluer l'intelligence humaine en faisant péter les croyances qui empêchent cet épanouissement. Les limites sont tenues par les croyances que le philosophe dévoile dans son écriture qui traduit sa pensée, comme nos lettres qui véhiculent nos idées. Là, je développe une écriture du rythme contextuel où chaque évènement est un repère en lui-même par rapport aux autres, dans la continuité de mes rythmes élastiques éphémèrôdes : c'est une écriture non quantifiée, mais proportionnelle dans la souplesse de la mobilité pour savoir dans son allure qui se trouve quand par rapport à qui ; et en + c'est amusant ! J'ai bien fait de t'envoyer le texte sur l'oralité François ! Nous naviguons tous les 2 entre oralité et écriture (les compositeurs savants qui sont musiciens sont rares) et l'enjeu est important pour son évolution, pour la musique et l'ouverture d'esprit du compositeur qui dans les faits est + un propositeur. Faire évoluer l'écriture musicale, c'est sans doute ce qui me motorise la motivation d'agir la musique ! Je repense à la création des « conservatoires de musique » par Napoléon créateur de « l'empire de France » 10 ans après la révolution de 1789 qui dura tout le XIXe siècle dont les 3 soulèvements des esclaves (1830, 1848, et la Commune en 1871) n'a donné que des massacres des populations révoltées. Et avec Napoléon III, 17 ans d'empire qui avec Hausmann construisirent les opéras tels Garnier à Paris et les autres en province qui jusqu'aujourd'hui, 2 siècles après restent dans la même idéologie de l'empire français perdu en ne jouant que les opéras des compositeurs du XIXe. Tu connais Mo-No musique à lire de Dieter Schnebel ? a+ mathius