L'objet du son

Le son objet sonore

 

un mouvement culturel phénoménal qui traite de l'inexistant

le son du son

 

Le son - la sensation de l'entendu - est devenu un objet à partir du moment où le son a pu être enregistré (mémorisé en dehors de soi) et reproduit (en dehors de soi). L'histoire de l'enregistrement sonore coïncide avec l'histoire du son. Avant pas de son, mais des sensations sonores. L'enregistrement du son ne s'opère que par sa reproduction mécanique, réalisée par la technologie. D'abord avec l'écriture : le son est devenu un objet enregistré et repérable à l'infini à partir du moment où il a été imagé (re-présenté) et quantifié (pour être calculable). Sa re-présentation, en a fait un objet d'étude. C'est à partir de sa re-présentation graphique (géométrique) que le son est devenu un objet de réflexion et de recherche. Avant pas de doublure graphique, mais des sensations sonores. Son enregistrement* (sa gravure) sur un support matériel (parchemin, cire, papier, vinyle, bande magnétique, disque numérique, etc.) a décidé son clonage; dans le temps (par les archives) et dans l'espace (par le voyage) : sa multiplication en copies (par nombre d'auditeurs : plutôt par nombre de clients). Ce qu'on entend par son est en fait son clone enregistré : sa doublure : l'objet de sa capture. Le son est l'objet (re-présenté) de la capture d'une sensation de l'entendu. L'idée de la simulation mécanisée du son a éclos à partir de l'invention de la reproduction mécanique de l'imprimerie pour la re-production des images. Ce que nous traitons, n'est pas la sensation sonore, mais son image : le son. La multiplication des clones sons correspond à la mécanisation de la re-présentation : la seconde présentation (la doublure imaginaire) qui infirme ou confirme la première (l'incompréhensible sonique) ? C'est en ce sens qu'il n'y a aucun lien direct entre une partition et « sa » musique, la représentation graphique du son est un gouffre prospectif construit par l'imaginaire, la projection d'un imaginaire sur la sensation de l'entendu. Le temps de déchiffrage est plus long que la musique.

L'étude du son par la physique acoustique s'est toujours basée sur la représentation graphique du vibratoire audible capturé. Les premières recherches acoustiques imagent le son pour fixer et « prouver » son existence. « Si le son est visible, cela prouve sa réalité » (sic). Sonomètre, oscilloscope, etc. La capture visuelle du son a permis de voir le son en lui créant une image qui le représente (mais une image est comme un nom : interchangeable. Si Pierre est nommé aussi Marc, change-t-il pour autan ?). Le calcul du son n'a été possible qu'à partir de sa représentation géométrique. La loi de Fourier conceptualise la décomposition du son en ondes simples (un cercle temporalisé sur la ligne spatiale du temps : une sinusoïde) nommées partiels du son. Aujourd'hui, il existe depuis Xenakis une autre théorie, celle des « ondelettes » (« wavelet » qui sert entre autres au calcul de la compression des données des images numériques du format jpeg par exemple) : des chaînes d'impulsions et non plus des cercles. Le son-clone est un graphique imaginaire dont aujourd'hui un très grand nombre d'outils visuels permettent sa transformation. Parfois la représentation graphique va au-delà de ce qu'on oblige à faire au son (manipulé par notre imaginaire) : par exemple les graphiques de spatialisation du son dans l'espace, n'ont rien à voir avec le comportement du son dans l'espace : on s'imagine qu'il se déplace sur une ligne. Oui. Dans le monde numérique le son objet s'affiche en fichier visible et codé. L'écriture du son n'est que sa représentation graphique : son imagination, son imagine à sons.

L'art du son (qui aujourd'hui supplante la musique) pour exister utilise une lourde technologie coûteuse (dont la musique peut se passer) entre autres pour sa multiplication dans le cas d'une recherche d'un bénéfice pécuniaire. L'expression « faire du son » est devenue plus fréquente que l'expression « faire de la musique ». Car la musique par son industrialisation est considérée définitivement comme un « objet » de divertissement et sa part expérimentale s'est transposée dans le « faire du son »; dont les musiques électroniques utilisant encore le terme « musique » se sont emparées pour ne plus être de la musique, mais du son. L'installation sonore a fait son chemin dans les arts plastiques et les DJ diffusent des heures, du son dansant.

Le son n'a pas de propriété (au sens d'un capital), c'est un état, un fait social. Même s'il y a un « compositeur » du son : il semble contradictoire de réclamer des droits d'auteur pour du son. Le son est un flux anonyme. Et c'est sans doute le côté positif de cette transposition de musique (prise en otage par l'industrie du poids public) en son qui n'appartient à personne, ni à son « créateur » puisque le son est un flux continu de mémoires en transformation. Il est impossible d'individualiser et d'identifier le flux du son. Cela même ne sert à rien au public qu'à demander d'être payé pour sa manipulation personnelle du son du producteur. Mais dans ce cas, à la chaîne il faut rémunérer les auteurs de tous les outils utilisés et l'identité se perd dans le flux de la suite infinie de l'appartenance au son.

L'idée du son est la résultante technologique de l'évolution de son enregistrement. Du phonautographe par exemple de Scott et Koenig jusqu'aux derniers supports informatiques dans le réseau Internet. La « science » du son est parallèle à sa technologie de préservation et de représentation. La conviction de l'idée du son s'est développée grâce aux productions massives de l'industrie audiovisuelle en équipements audio. Où le son est perçu comme le phénomène causal des haut-parleurs et l'image animée comme le phénomène causal des écrans, résumé dans le terme : audio-vidéo ou multimédia. Des 5 organes des sens, la vue et l'audition sont les plus éloignées de la réalité, contrairement à l'odorat, le goût et le touché qui sont tous trois immédiats : ils ne passent pas par un encodage et un décodage complexe comme pour la vision et l'audition qui interprètent le réel en surréel (je pense aux couleurs ajoutées à notre vision ou à la sensation sonore d'une vibration).

...

Les variables du son se retrouvent dans la culture de la sonorité.

 

 

Lectures
. Daniel Dehays : Pour une écriture du son, Klincksiek 2006.
. Dictionnaire encyclopédique du son, 560 pages, Dunod 2008 : http://www.scribd.com/doc/54201405/Dictionnaire-encyclopedique-du-son
. Jacqueline Caux, Presque rien avec Luc Ferrari (entretiens), 2002 éditions Main d'oeuvre.
. Curtis Road, The computer music tutorial (1234 pages) MIT press 1994.
. Le mensuel Electronic Musician en Californie, regroupe cette passion pour la technologie du son (dans le groupe Intertec Publishing regroupant les revues Mix, Onstage, Remix et The Recording Industry Sourcebook).
. L’AES (Audio Engineering Society) avec son salon annuel, ses conférences, ses publications a acquis une autorité dans l'évaluation des outils technologique et du savoir technoacoustique.
. Collectif d'auteurs sous la direction de Denis Mercier, Le livre des techniques du son (3 volumes), Dunod 1985.
. Entre les années 70 et 90 beaucoup d'ouvrages « pratiques » ont été publiés sur la « sono », la « prise de son », le « mixage », le « montage » (éditing en anglais).
. Jean Hiraga, Les haut-parleurs, Dunod 2000 rééditions de 1980.
. Une revue comme le magazine 0vu dans les années 70, 80 traitait des équipements haut-de-gammes pour le traitement du son : microphones, préamplis, compresseurs, consoles de mixage, haut-parleurs : une vrai passion du studio d'enregistrement supplentée à la fin des années 80 par l'enregistrement vidéo. C'est dans ce magazine que j'ai découvert l'existence du spatialisateur d'Anadi Martel le SP1 en 1988, que j'utilise toujours. La spatialisation est la création artificielle de la sensation de déplacement du son dans l'espace, avec plusieurs haut-parleurs dispersés dans un volume et une machinerie audio dissimulée, histoire d'épater la foule dont je fais partie.
. Les passionnés de HiFi avaient aussi leurs magazines. HiFi contraction de High Fidelity signifie haute fidélité : la haute fidélité au son (sic) : oui ! avec les convaincus du « meilleur son » (sic). Activité masculine reportée aussi sur les femmes.
. Emile Leipp, Acoustique et musique, Masson, 1976.
. Pierre Shaeffer, Traité des objets musicaux, éditions du Seuil 1966 (712 pages pour faire apprivoiser l'objet sonore par la musique alors pratique dominante)
. Hermann Helmholtz, Die Lehre von den Tonempfindungen als physiologische Grundlage für die Theorie der Musik, 1877. Traduction anglaise 1885 par Alexander J. Ellis pour ses étudiants : On the Sensations of Tone, republication Dover 1954.

 

Notes additionnelles

. « Quand j’ai commencé ma carrière professionnelle dans le son, c’est-à-dire quand j’ai commencé à gagner ma vie en enregistrant de la musique dans un studio, il n’y avait aucun moyen de savoir comment faire. La technique était bien cachée à l’abri des studios et personne ne savait même ce que voulait dire le mot prise de son. Par chance, mon père était ingénieur du son à la télévision et il m’avait donné de précieux conseils pour un débutant… Mais quand j’écoutais les disques qui me faisaient rêver, je restais incapable de comprendre comment ils étaient faits, quels étaient les règles, les ruses et les secrets qui se cachaient derrière les sillons des vinyles. » Dominique Blanc-Francard (ingénieur du son) 2007.

. Jusqu'à la croyance de prétendre à du son signé : « SS est une agence spécialiste de l’identité sonore (sic), du design musical et de la sonorisation des espaces de ventes, au service des marques et des entreprises » 1995. Qui en fait sonorise de l'image vidéo publicitaire : « ... identité sonore renforce l’image humaine, créative, moderne et ambitieuse... » (sic).
Le compositeur Michel Redofi avec son Audinote (studio audionumérique) produit de l'urbanisme sonore (allez entendre son projet pour le tramway de Nice et autres : http://www.audionaute.com) à la suite de Brian Eno avec son Ambient music for airport, en 1978. Le rêve de la cité futuriste des sons sous contrôle, qui va m'obliger d'aller vivre dans le silence de la campagne. Comme le logo sonore de la SNCF qui me prend la tête plusieurs jours après un trajet en train qui m'oblige à prendre la voiture qui me revient plus cher (à cause des radars dissimulés).

. Ayant eu la chance de posséder un studio d'enregistrement hybride (analogique et numérique) entre 1991 et 1997 sur 150 m2, j'ai pu expérimenter quotidiennement l'expérience des différentes compétences de la prise de son, du mixage, du montage, du mastering avec les premières stations numériques audio. Le monde de l'ingénieur du son qui me fascinait quand j'étais gamin a cessé après cette expérience. On ne peut pas être derrière et devant la console en même temps (musicien et ingénieur du son sont incompatibles à cause de la différence de concentration de la tâche à accomplir). Aujourd'hui, le fait que beaucoup de machines (alors difficilement abordables à cause de leurs coûts très élevés) sont intégrées dans l'ordinateur à des coûts 100 fois moindres, le déploiement de matériel ne se justifie plus à part le principal comme le convertisseur analogique-numérique, les préamplis, les micros et les moniteurs d'écoute : le reste est dans l'ordinateur, la console, le multipiste et les effets (filtres, compresseurs, réverbérations et autres) permet de réaliser le rêve du studio d'enregistrement nomade qui croise différentes acoustiques architecturales de prise de son. Ce que déjà, nous faisions à l'époque : le studio sur la scène.

 

 

La pratique de l'ingénieur du son, du technicien du son, du perchman, du preneur de son, de l'opérateur son, du sonorisateur, du mixeur, du sound designer, du Foley artist ou bruiteur, du musicien du son, du disc-jockey, du post-producteur,
...

 

La musique enregistrée genrée d'archive

Qu'est-ce que la musique enregistrée ? Un genre de musique que l'on écoute à travers des haut-parleurs : une chaîne de reproduction. Des vibrations converties en électricité et reconverties en vibrations par le diaphragme typique du haut-parleur. Toute vibration convertie de musique est restaurée, par un seul modèle qui est : le haut-parleur. Tous les différents « genres » de musique traversent ce seul médium : le haut-parleur. Logiquement, toutes vibrations produites par un haut-parleur sont alors de la même famille. C'est pour cela, que nous comprenons : qu'il n'y a pas de distinction possible entre les écoutes des musiques enregistrées : en genres distingués. Toute musique écoutée à travers des haut-parleurs passe à travers le filtre de la chaîne de reproduction : le nom de famille de la musique enregistrée devrait être aussi : musique de haut-parleurs. Le haut-parleur est le bout de la chaîne de la reproduction sonore. Il n'y a aucune nécessité à distinguer les différents styles de la musique enregistrée puisqu'elle est un souvenir (enregistré) reproduit pour soi dans son écoute privée. La musique enregistrée est plus destinée à l'archivage (le souvenir fabriqué pour l'histoire) pour garder en mémoire l'histoire passée de la pratique musicale destinée aux générations futures. N'est-ce pas une illusion ? Les archives encombrent la mémoire historique de l'humanité. Ce procédé fixe la musique pour l'éternité qui ne changera jamais. N'est-ce pas une illusion ?

Pour se faire « entendre » (sic) les compositeurs vivants du présent non enregistrés que peuvent-ils faire ? La seule façon de bousculer l'archivage genré propriétaire est de re:composer les enregistrements passés par les artistes du présent qui utilisent la musique enregistrée comme matériau sonore pour créer sa propre musique. La différence entre la musique enregistrée et la musique vivante est sans commune mesure : la musique enregistrée est un testament, un souvenir fabriqué ce à quoi on pourrait imaginer comment c'était (en général et majoritairement nous n'avons pas assisté à cette musique en concert). La musique vivante est ce qui se passe à vivre maintenant. La musique enregistrée nous conduit à imaginer ce à quoi cela aurait pu être transposé dans l'éternité. Nous sommes touchés et nous excitons notre propre imagination de ce que pourrait être cette musique : une culture de nos manques en développement. Nos manques en chaîne répétés sans fin de la résurgence du passé. Enchaînée, la musique enregistrée génère en nous des absences, des frustrations, des besoins de présences, que l'on transpose à des orgasmes imaginaires et simulés. La culture des fantômes. La musique enregistrée reste dans le contexte du souvenir et en fait un souvenir, comme une vieille photo de famille : un générateur de rêves inexistants. Avec la musique enregistrée, nous vivons dans le passé : dans une « schizophonie » en déplacement temporel permanent : dans une décontextualisation sociomusicale que celui du souvenir nostalgique de l'inexistant. Nous produisons un passé imaginaire pour entretenir des plaisirs crus perdus. Nous nous sommes entenaillés dans la passivité fatale du passé consommable. Avec la musique vivante, le plaisir ne peut pas être ailleurs qu'ici et maintenant. Le présent est le gardien de la santé mentale, mais nous, nous vivons dans le passé... dans un monde enregistré inexistant : dans un gouffre de frustrations.

1996

 

Rapide brossage d'un portrait en décomposition

Le coût d'un studio d'enregistrement avec un équipement de classe A peu atteindre le coût de 10 Ferrari voire plus. Sans compter son entretien, le remplacement des machines obsolètes dont l'audionumérique a réduit les coûts (pas pour la classe A), mais a accéléré leur durée de vie aujourd'hui réduite à 3 ans. En 20 ans un nombre impressionnant de formats se sont succédé : bande magnétique, vinyle 45 et 33 tours, cassette audio, cartouche, DAT, ADAT sur bande SVHS ou Hi8, Disc Laser 33cm, CD, DVD, etc., puis les formats audionumériques aiff, wav, mp3, flac, etc., sur disque dur et sur le réseau Internet. Pourtant le studio d'enregistrement est l'atelier du musicien, un outil nécessaire et inabordable pour l'expérimentation et la production musicale. C'est le paradoxe de l'industrie de la musique où les coûts exorbitants justifient l'obédience à une chasse gardée des moyens de production : les majors. Mais aujourd'hui le studio mythique Abbey Road d'EMI est en vente; et deviendra sous doute un musée ou le caprice d'un milliardaire. Toute la production de la musique enregistrée est en train de changer, où les coûts inabordables d'antan sont aujourd'hui déconsidérés, et les studios d'enregistrement lâchés par les majors soldent leurs machines audio en pièces détachées (eBay a contribué en quelques années à nettoyer le marché mondial de l'équipement audio). Mais aujourd'hui avec un peu de jugeote, il est possible de se monter un studio d'enregistrement pour quelques milliers d'euros sans multiplier les pistes à l'infini pour impressionner la clientèle qui n'existe plus. Les musiciens à compte d'auteur (qui sont majoritaires) préfèrent payer un copain passionné, équipé de ce qu'il peut, que de payer un studio professionnel qui va engouffrer le budget en une séance.

 

 

suite

re tour à la table des matières