contrainte non formulée mais explicite d'espérance de vie pour une oeuvre musicale
ou
économie de la composition musicale
Le choix
Comme tous les humains, le compositeur a des choix. Choix qu'il va opérer en fonction de ce qui l'attire. Mais vers quoi être attiré pour une vie à combler ? dans une existence limitée en durée. Quel est le but d'une vie d'artiste ? Être comblé ? Être dans un environnement confortable ? Découvrir d'autres expressions musicales ? Jouir en définitive ? Toutes les formes possibles de la jouissance tendons-nous à nous diriger ? Un choix reste quantitatif : c'est toujours entre plusieurs possibilités dénombrées par l'expression : « soit je fais ça, soit je fais ça, soit je fais ça, etc. », et on opère le choix. La qualité de ce choix est qu'il est irréversible, il peut être rattrapable par des moyens détournés, mais le choix ne peut être recommencé une fois fait [1]. Il restera la trace du choix accompli. Du choix de vie au choix des mots. Qu'est-ce que je peux faire ? Qu'est-ce que je peux faire avec ce que j'ai ? A chacun.
...Les critères de choix
Les choix vont être influencés : par l'entourage ou pas, par le milieu social ou pas, par la culture ou pas, puis pour soi : par le désir de reconnaissance ou pas, par la soif de savoir ou pas, par le désir à admirer la beauté ou pas, par le désir de justice ou pas, par le désir de s'enrichir ou pas, par amour pour toi ou pas, etc. La motivation est le moteur de l'intérêt et l'intérêt est le sens du choix. Dois-je faire ce que je désire vraiment faire ou faire ce que les autres désirent que je fasse ? Savoir ce qu'on désire vraiment est déjà une aventure une exploration nécessaire pour ne pas se tromper de soi : s'ajuster à sa motivation ce que nos sociétés nous ont éloigné à coups de propagande bien ciblées : notre inconscient est dérouté. Il est donc plus ardu de distinguer les critères et les choix puisque ceux-ci sont déjà consommés. Le plaisir pas la douleur (devenu fléau à combattre de nos sociétés contemporaines... A ce point n'est-ce pas pathologique ? Contrairement au plaisir extrême.), la facilité ou au contraire la complication, etc. A chacun.
...Le critère de l'utilité et de la nécessité
« Il n'existe en effet aucun moyen correct (...) qui permette de définir ce qui est utile aux hommes » nous dit Georges Bataille dans la « La notion de dépense » [2]. Nous naissons dans un environnement où la pression psychologique du groupe au pouvoir nous destine à choisir ce qui est déjà choisi pour nous : reste l'illusion du choix des choses insignifiantes qui ne perturbe pas le fonctionnement et les croyances de notre société. Dans ce cas l'imposition de sa volonté pour ses propres choix reste ténue et l'échappatoire au carcan demande une énergie intellectuelle importante. Choisir une carrière artistique (pas décorative) c'est obligatoirement remettre en question les acquis et les faire évoluer. Nous posons toutes les notions acquises sur le grill et les retournons pour en extraire l'émotion, la langue de l'art que la politique, la religion et l'économie nous soudoient. Certains résistent à la tentation de la récompense d'autres pas. A chacun.
...L'étrange activité de l'économie
L'économie au vu de ses théories est la pratique la plus simpliste et la moins réflexive de toutes les sciences [3] : jamais de remise en question. Toute notre société est dirigée par ces théories qui gouvernent nos choix pour ne pas sombrer dans le rejet et la mort vivante de l'exil. Mauricio Kagel [4], le compositeur provocateur se posait la question dans les années 70 de la diffusabilité d'une oeuvre musicale. Question très intéressante aujourd'hui puisqu'aucune oeuvre audacieuse n'a la chance d'être diffusée. Dans les années 70 aussi Luc Ferrari [5], le compositeur de l' érotisme et de l'anecdote constatait le changement de public : d'initiés restreins à un large public anonyme inculte posait un problème de communication. Aujourd'hui cette communication est rompue jusqu'à ignorer et agresser les artistes qui tentent d'entamer le bien-être psychique du public en produisant une musique qu'il ne connait pas.
......
A la recherche des contraintes non formulées mais explicites :
1. situation de l'oeuvre et du public dans la pensée catégorique de l'économieEspérance d'existence pour une oeuvre dans un environnement public :
espérance de diffusion limitée......................musique avec instruments uniques
espérance de diffusion illimitée.....................musique avec instruments très courants
espérance de vie limitée..............................lecture malaisée
espérance de vie illimitée.............................lecture aiséedu cercle d'initiés
à
un large public désinforméinfluant (avec pouvoir)
non influant (sans pouvoir)..............musique pour grand public désinformé
..............musique pour cercle d'initiéschance minimale ou maximale de réalisation d'une oeuvre
avec ou sans public (dimension du cercle public ou dimension du lien social)0. jamais (exemple de compositeurs seul en dehors du réseau médiatique (tels que : éditeur - label - distributeurs - presse - producteur), ou autoproduits.
1. une fois : au plus
2. plusieurs fois : au moins
3. sans arrêt : exemple du Boléro de Maurice Ravel mort en 1937 (dont les droits d'auteur auraient du s'arrêter le 28 décembre 2007 et passer dans le domaine public, mais la Sacem opère encore des prélèvements en 2008 ?)orchestre grand..................instruments uniques = peu
soliste...............................instrument courant = plus
............................................................................... mais dépend du milieu de la couche sociale
le comble
- concert impossible = plus de composition et plus de public dans un même endroit possible (rassemblement interdit ?)
- reproduction numérique = composition numérique diffusée dans le réseau Internet au public intouchable (localisable dans le réseau et pas ailleurs).
Le paradoxe de la pratique de l'économie, c'est qu'elle amalgame réactions psychiques complexes des être humains à des prévisions statistiques quantifiées. C'est une pratique contradictoire et un savoir faussé qui tend à des procédures absurdes, totalitaires, mais en réalité volontaires et dirigées. Le psychisme est inquantifiable dans des statistiques à nombre fini de catégories. Les motivations totalitaires reposent toujours sur des motivations simplistes de frustration. La terreur de rien comprendre. Pour qu'une clientelle achète il faut qu'elle soit obligée, l'économie est à la recherche de ces obligations.
...
Notes
[1] Le jeu permet de recommencer un choix : d'où son intérêt dans l'éducation (et trop de jeu divertit de ses choix).
[2] impossible de ne pas citer ça aussi : « Dieu, l'Esprit sert à masquer le désarroi intellectuel des quelques personnes qui refusent d'accepter un système fermé. » Georges Bataille « La notion de dépense » dans la « La part maudite » (ed. Minuit, 1967)
[3] la compilation de ces théories sont consultables à http://www.ladocumentationfrancaise.fr/revues-collections/problemes-economiques/theories/theories.shtml
[4] La contrainte d'écrire des oeuvres pour les instruments les plus courants possible - parce que sinon le nombre des exécutions pourrait être réduit et l'espérance de diffusion de la musique limitée -, cette contrainte non formulée mais explicite pèse encore aujourd'hui sur les compositeurs. Cependant la retransmission par bande magnétique et par disque rend caduque bon nombre des idées traditionnelles sur l'importance de cette question, puisque la reproduction d'une idée musicale à l'aide d'instruments et d'accessoires sonores ne dépend plus nécessairement de la possibilité pour une musique d'être « jouable ». C'est plutôt l'inverse qui se produit : des phénomènes « injouables » peuvent actuellement utiliser ad libitum la reproduction mécanique. II semble paradoxal que dans une telle musique, qui, à la limite, pourrait conduire à supprimer les exécutions musicales publiques, l'exécutant puisse compter sur une participation plus active et plus vivante. 1970, Mauricio Kagel (1931-2008).
[5] D'après Luc Ferrari (1929-2005), l'envahissement des mass media a profondément transformé la position du compositeur. Autrefois, celui-ci travaillait pour un petit cercle d'initiés, aujourd'hui il a affaire à un public plus vaste quoique non averti et mal informé. II serait insensé de continuer à offrir des objets esthétiques à un tel public, puisqu'il n'a pas participé à leur développement : « ça ne le concerne pas » . Ceci dit dans les années 70.
Economie de la diffusion musicale : le rôle difficile du mélomane
Il est très rare qu'un auditeur mélomane soit équipé d'une chaîne de reproduction sonore permettant une écoute de qualité quadriphonique. Donc très peu de personnes peuvent écouter encore aujourd'hui quarante ans après (nous sommes en 2010) une oeuvre créée en quadriphonie sans perdre les détails de sa génération [1]. Les systèmes 5.1 sont destinés à l'écoute normalisée en surround cinéma où le son est compressé dans son encodage numérique et, généralement ses enceintes sont de piètre qualité pour « maintenir » un prix abordable. Nous flottons en plein mensonge de l'exploitation industrielle pour obtenir le résultat d'une écoute impossible des oeuvres musicales contemporaines en multiphonie (non normalisées pour le cinéma).
Donc.
A quoi peut bien servir ce type d'oeuvre dont aucun support privé n'est adapté à l'écoute ? Une oeuvre musicale qui utilise le système de reproduction électronique en multiphonie est aussi rarement audible qu'une oeuvre musicale pour un orchestre d'instruments de musique. La forme concert reste l'espace le plus accessible à l'écoute de ce type d'oeuvre, mais les organisations de concert sont rares. Les haut-parleurs, les enceintes de sonorisation ne sont pas adaptés à ce type de musique. L'idée d'une sonorisation homogène a ouvert les portes à une normalisation de l'écoute en concert : les équipements sont homologués pour succomber aux caprices de la mode : du mode d'écoute en court où rien au fond n'est adapté, mais où les imperfections sont « effacées ». Il ne reste que le bricolage fait de bric et de broc où chaque écoute sera différente d'un lieu à un autre. Le mélomane attentif pourra s'équiper d'un système d'écoute qui serait équivalent à ce qu'un compositeur utilise pour créer sa musique ou presque : un ordinateur + une carte son « professionnelle » avec 4 ou 8 sorties + les amplificateurs appropriés + les enceintes appropriées + un lieu d'écoute approprié : cela reste dans le domaine du possible pour un mélomane attaché à une écoute de qualité. Mais où sont-ils ces mélomanes ? Ils ont disparu à l'arrivée du Compact Disc : à la normalisation du son de la musique [2].Les désirs théoriques des compositeurs espérés dans l'ordinateur dépassent le possible de la réalité des décombres des machines. Une grande partie de l'imaginaire théorique musical n'est resté que dans le fantasme ou dans un résultat généralement décevant. L'industrie renouvelle les machines en permanence ainsi que ses formats de stockage, ses codages de fichiers et ses systèmes d'exploitations, ce qui crée de la marchandise supplémentaire avec du même et de l'incompatibilité et qui complique la transmission des fichiers d'un système vers un autre. La retransmission du son est devenu un bluff en ne développant qu'une seule direction, celle de stupéfier les foules avec de grosses basses.
Décadence de l'industrie musicale
à en vouloir trop : où l'échange déséquilibré tue le marché
Il est clair qu'à en vouloir trop, crée un déséquilibre qui détruit le système de l'échange (le commerce). Sans équilibre, l'échange devient inopérant : le - ne s'échange pas avec le +. L'exemple de l'industrie de la musique depuis la fin des années 70 est parlant. L'industrie du disque a voulu soumettre les artistes aux « lois du marché » en se permettant d'intervenir dans la création musicale au nom de sa « vendabilité », d'être commerciale ou pas. Mais le critère de vendabilité ne repose plus sur le fait de déconsidérer les consommateurs comme « débiles qui bouffent ce qu'on leur donne » (sic). En d'autres termes : vendre de la bêtise, qui caractérise le plus grand nombre pour le plus grand profit (la facilité se vend plus aisément que la difficulté). Si l'industrie du disque s'est effondrée, c'est bien par cette attitude de mépris. D'être convaincu que le « commercial » pouvait remplacer « l'artistique » au mépris et du consommateur et de l'artiste. Aussi, le maintien du prix élevé du disque CD (20 € en moyenne) par rapport à un prix de fabrication en baisse constante depuis les années 90 (moins de 1 € à la fabrication) a favorisé l'écoute mp3 sur Internet. Internet avec la gratuité d'écoute (aux formats compressés) ne peut que remporter l'adhésion des auditeurs : gratuité contre péage crée un déséquilibre de rééquilibrage à la concurrence déloyale entamée il y a 40 ans par les majors. Aujourd'hui, une musique « honnête » est une musique accessible « gratuitement » à l'écoute (sans copyright ni droit d'auteur) sans la corruption de l'argent ; bien qu'Apple avec son lecteur propriétaire iTunes tente de remplacer le disque en vendant du mp3 propriétaire (en reversant le même 5 % du prix HT à l'auteur que les majors, s'il est versé), suivit par Amazon et d'autres. L'Open Listening rentre dans le sens de l'Internet, contrairement au péage qui lutte contre la gratuité du réseau de l'information. Les anciennes « majors » (maisons de disques) réduites à 4 : Universal, Sony-BMG, Warner et EMI se reposent sur « leurs valeurs sûres » c'est-à-dire leurs catalogues d'anciennes vedettes forcées à vendre leurs droits d'auteur inclus dans leur contrat d'engagement qui restent encore aujourd'hui sur les scènes majeures des grandes salles et des festivals à leurs âges avancés, se dirigent vers leur propre disparition.
...
Notes
[1] la quadriphonie (dit aussi tétraphonie) est le système d'écoute bidimensionnelle (à deux dimensions : droite + gauche + devant + derrière) minimum dans une disposition carrée. Aujourd'hui un système surround (bidimensionnel) va jusqu'au format 7.1 (c'est-à-dire, avec 8 enceintes). L'octophonie est le système d'écoute tridimensionnelle minimum qui ajoute à la quadriphonie la dimension de haut et de bas dans une disposition cubique. La stéréophonie est le système d'écoute unidimensionnel (à une dimension : gauche + droite) dans une disposition frontale : face au regard.
[2] Les machines construites ne durent qu'un temps, comme les voitures, au bout d'un certain temps elles ne fonctionnent plus ou ne peuvent plus fonctionner pour cause de manque de pièces de rechange. La technologie n'est pas un phénomène permanent de pouvoir : elle ne dure qu'un temps. Le temps de mourir. De disparaitre. Et de redevenir autre chose. Aujourd'hui avec le lecteur mp3 et ses oreillettes qui peut se prétendre mélomane ?
l'économie politique du faux-artiste
re tour à la table des matières