Technique instrumentale
Jouer l'erreur
À la fin des années 70, nous avons développé des techniques instrumentales sur la base de ce qui est considéré comme défaut ou erreur de jeu, car la notion de perfection ne rejoint que la mécanicité, un mécanisme simplifié où elle rejette ce qui demeure ingouvernable dans les poubelles des erreurs. « Pureté & perfection » nous amène inévitablement à la dévitalisation de la complexité de l'humain, de l'humanité, à l'impénétrabilité de la vie, de ce que nous ne comprenons pas, pour une robotisation de celle-ci : c'est-à-dire, une simplification apte à son contrôle aisé par simplification (1.0 = ouvert.fermé = mauvais.bon). Structurer les éléments simples. C'est en réaction à cette mécanisation galopante et simplifiante dont chacun semble convaincu de sa nécessité que nous avons développé une échappatoire dans les erreurs du jeu instrumental, affirmée définitivement en 1980. Une erreur instrumentale provoque un complexe sonique qu'une « justesse » exclue. Une erreur provoque un complexe sonique qu'aucune « justesse » ne peut interpréter. Une erreur de jeu instrumental est plus difficile à maîtriser qu'une justesse codifiée dont les instruments de musique occidentaux ont été conçus : pour parvenir à cette justesse simplifiée. Cette idéologie « pureté & perfection » influence et est la base de la fabrication des instruments de musique occidentaux. Et, plus l'instrument de musique est onéreux et plus il est facile de le jouer juste. La musique dominante c'est dirigée dans « l'économie de la pureté » par l'exclusion et le refus de l'incompréhensible refoulé dans « l'impureté ». Et c'est exactement ici que nous intervenons : l'introduction de l'imperfection (mise à jour de la complexité humaine) par la découverte des champs de bruits, par la découverte d'autres gestuelles dans le jeu instrumental et toutes les erreurs qui une fois analysées et apprivoisées enrichissent la musique d'une palette jusqu'alors méconnue (volontairement ?). L'art de la non-maîtrise instrumental est un art difficile, mais passionnant qui ouvre les possibilités de créations musicales dans des champs jusqu'alors insoupçonnés. L'erreur vibratoire n'est que la conséquence d'un dogme moral motitivé par les à-prioris de l'intolérence.
À ce stade, la conception structuraliste de la création musicale, avec un nombre d'éléments finis et distincts, devient obsolète. Dans le dénombrement, le nombre de « paramètres » deviendrait supérieur à ce qu'une conception structurelle d'un humain puisse contrôler et maîtriser. Le seul moyen de pouvoir jouer, est de se laisser vibrer et interagir avec le vibratoire de l'instrument de musique. Le jeu dans l'échange vibratoire permet le jeu de complexités qui avec l'idée de quantifier, demeure immaîtrisable.
L'introduction du monde des objets, des instruments électroniques bricolés, des instruments extra-occidentaux, des instruments classiques détournés, etc., avec le jeu de l'erreur développée dans l'orchestre permet d'élargir de façon spectaculaire la palette des sonorités et d'ouvrir les esprits à une autre maîtrise instrumentale plus efficace. Aussi de faire dégonfler les idéologies de la perfection, de l'exclusivité, du racisme, des clans, de la quantité, et autres, qui empêchent la musique de se libérer des carcans qui lui a été imposée : celui de son contrôle sans erreurs de perfection. Qu'on me comprenne bien : je ne dis pas que « mal » jouer en se déresponsabilisant de ses intentions est mieux, je dis que jouer dans l'interaction vibratoire sans compter permet de jouer des musiques injouables avec la notion obsolète de « pureté & perfection » quantitative.
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Note
Pour illustrer trois attitudes différente pour un même instrument, l'exemple simple du saxophone est parlant puisqu'il « sert » trois idéologies musicales (même d'avantage) différentes : la musique classique, le rock et le jazz. Dans la musique classique est choisie une ouverture de bec étroite et une anche souple cela pour favoriser la justesse et la stabilité de la hauteur de la note. Dans le jazz est choisie une ouverture de bec large avec une anche dure pour favoriser la dynamique et le jeu des timbres. Dans le rock est choisi un bec à découpe particulière pour favoriser une sonorité qu'on peut nommer « fuzz » proche du « growl ». La musique classique rejette l'erreur, le jazz favorise la difficulté et le rock s'en moque.
Une timide incursion de maîtrise de l'erreur du jeu instrumental a été révélée par la découverte des « multiphoniques » d'abord au saxophone (puis à la flûte, cordes, etc.) initié par le free jazz et systématisés par la musique contemporaine qui une fois maîtrisés les utilisa avec son esprit structuraliste : des évènements distincts à « composer ». L'absurdité n'a de limite que l'ennui.
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