Débat

décembre 2012

de l'orchestre impossible au XXIe siècle

 

A la suite de ce texte :

1980 - 2012, il semble que. Les musiciens n'existent pas encore pour jouer mes musiques.

Depuis 1980, je cherche des musiciens. Depuis 1996, je tente de fonder un orchestre à partir de l'expérience des Trans-Cultural Synphônê Orchestra (de 30 à 100 musiciens). Dernièrement, à Toulouse entre 2004 et 2012, j'ai tenté de fonder un orchestre (une moyenne de 16 musiciens) sans succès, toujours pour interpréter la musique que j'écris. J'ai accueilli plus d'une cinquantaine de musiciens dans mes projets successifs : en 2005, 2006, 2007, 2008 et 2012 (4 ans à me remettre de la censure de 2008), mais aucun musicien ne désire comprendre ni s'investir à parfaire la musique, globalement il ne fait que visiter le phénomène musical inouï (par curiosité) et repart se consacrer à ses propres occupations.

Tout réside dans l'état d'esprit. La musique que j'écris demande un investissement de l'intelligence et de la sensibilité au-delà de la norme acceptée (et il n'est pas question de surhomme !). Le musicien dans ma musique n'est pas un exécutant, un servile payé et déresponsabilisé par un salaire où le compositeur est le patron, seul responsable du résultat de la musique. Malheureusement, cet état d'esprit existe majoritairement, mais ne correspond pas et n'est pas favorable à la création de la musique que je conçois.

Pourtant l'ouverture d'esprit suffit, la bonne volonté et l'intérêt feraient le reste : une entente, une écoute en profondeur hors de soi, une sympathie pour l'autre. Une autre gestualité qui demande de l'entrainement. Mais il n'en est rien : l'hostilité a priori et généralisé (envers soi et les autres) est de mise pour les rapports humains, même dans la musique.

Il n'existe pas encore de musiciens pour jouer ma musique. C'est un constat raisonnable après plus de 30 années de recherche. Certaines de mes écritures comme « Les Ephemerodes Cardent des Chrones » pour 7 pianos en mauvais état, attendent d'être jouées depuis 1984. Le musicien qui va interpréter les musiques que j'ai imaginé doit avoir une ouverture d'esprit et une compétence : le fait de se donner la possibilité d'agir volontairement dans le sens de la musique, que les écoles de musique semblent ne pas enseigner. Et je ne dis pas ça dans un sentiment élitiste, mais simplement que la direction que j'ai prise dans mon exploration du vibratoire de la musique, fait que je suis seul à explorer cette voie : il n'y a personne d'autre dans les environs. La musique en effet n'est pas pour moi un divertissement (une diversion) puisque j'ai choisi dans ma portion d'existence de créer de la musique jamais entendue et d'en faire mon métier.

Un musicien est un humain qui décide de jouer de la musique pendant son existence. Mais quelle musique ? ou plutôt, comment se représente-t-il la musique qu'il veut jouer ? aurai-je dû partir seul (comme je l'ai fait) et attendre de me faire rejoindre par les musiciens pour jouer les musiques que j'ai imaginé ? C'est ce que je pensais, mais je me suis trompé : je suis totalement isolé dans ma recherche de création d'une musique différente. Cent musiciens sans musiciens.

Qu'est-ce que mon écriture demande de plus que les autres musiques pour que les musiciens ne puissent pas jouer la musique que j'imagine et écris ? Une différence trop accentuée ? L'esprit est différent, les signes musicaux sont différents, le résultat souhaité est différent. Cette différence fait que cette musique n'est pas admissible dans les chapelles déjà existantes. Et je ne fais partie d'aucune chapelle musicale : musique contemporaine, musique électroacoustique, musique improvisée, musique expérimentale (peut-être), musique électronique (pour dance floor), rock, jazz, classique, folklorique, traditionnelle, etc. Aussi, cela va beaucoup plus loin : les lieux des concerts ne sont pas appropriés à la musique que je conçois (les salles à l'italienne). Je pensais qu'après des Stockhausen, Xenakis, Cage, ou Reich, il y avait une place pour la future génération de compositeurs originaux : mais cela ne semble pas être le cas. Les éditeurs dans les années 80 ont rejeté les partitions de la nouvelle génération de compositeurs arguant qu'ils en avaient déjà trop qu'ils n'arrivaient pas à vendre aux musiciens et aux orchestres déjà existants.

En fait, comme me l'avait dit en 2008, une « autorité » de la Culture : « il n'y a pas de contexte dans notre ville pour votre musique » : au fond, elle n'avait pas tort, et il n'y a pas que dans ma ville de résidence. Mais je ne me pose pas en victime, je révèle simplement le possible impossible parmi les humains à travers la musique. C'était un choix que je continuerai jusqu'à ma mort : créer une musique possible impossible. Possible physiquement, impossible socialement [2] [3].

 

envoyé à 44 musiciens, compositeurs, et autres :

Agnes Timmers (directrice de festival), Cyrille Marche (guitare basse et contrebasse), David Fenech (musicien compositeur), Didier Marc Garin (compositeur), Dominique Regef (vielle à roue), Dominique Répécaud (directeur de festival, guitare électrique), Elisa Trocme (clarinette contrebasse), Eric Pailhe (saxophones), Eryck Abecassis (compositeur), Etienne Brunet (saxophone, compositeur), Fabien Binard (trombone), Fabien Duscombs (batterie), Nicolas Field (batterie), Falter Bramnk (compositeur musicien), François Rossé (compositeur musicien), Frederic Lejunter (installation sonore et musicien), Gérard Assayag (programmeur informatique musicale), Guillaume Blaise (percussions), György Kurtag (compositeur musicien), Helene Marche (poète performeuse), Iris Lancery (mezzo soprano), Jacques Remus (installations sonores interactives), James Giroudon (directeur du GRAME à Lyon et compositeur), Jean Claude Sarragosse (baryton-basse), Jean Louis Bergerard (chef d'orchestre), Jean-Jacques Birgé (compositeur), Jean-Yves Bosseur (compositeur), Johann Bourquenez (pianiste compositeur), Hans Koch (clarinettiste improvisateur), Lakhdar Hanou (oud), d'Incise (compositeur), Laurent Bayle (directeur de la Cité de la Musique à Paris), Laurent Paris (percussions), Marc Battier (compositeur), Marie-Hélène Serra (directrice pédagogique à la Cité de la Musique à Paris), Masako Ishimura (flûtes), Maxime Dupuis (violoncelle), Pierre Bastien (compositeur multiinstrumentiste), Thomas Fiancette (batterie), Thomas Belhom (percussion), Waldemar Reis (piano), Stéphane Marcaillou (guitare électrique), Henri Demilecamps (compositeur pour le théâtre), Marion Raievski (comédienne).

 

certaines et certains ont envoyé leur réponse :

 

Voici la réponse du musicien compositeur pianiste François Rossé à propos de la difficulté orchestrale de se rassembler et de jouer et de comprendre la musique des compositeurs vivants :

Réponse de François

Cher Mathius,
je pense volontiers que chaque situation est particulière et la musique ne peut évacuer l’humain lié quelque peu à un nœud assez inextricable de contrats sociaux tacites qui peut conduire effectivement au meilleur et au pire, ce que l’histoire nous a démontré. Cela fait assez longtemps que j’ai évacué le concept d’être propriétaire de la musique que je conçois pas plus qu’on est propriétaire d’un coin de la planète, on est simplement locataire et très provisoirement; il en est de même pour les musiques (en ce qui me concerne dans ma conception) dont on a la jouissance de pouvoir les concevoir ou de les réaliser, mais non les propriétaires, nous sommes reliés à une complicité historique et sans nos ancêtres nous ne serions pas dans cette situation (bonne ou mauvaise) et personne n’a inventé la musique ni le fait d’avoir l’énergie pour se lever le matin... Acceptant de n’être que transitoire, je ne parle pas trop de « ma » musique en tant que m’appartenant, pour moi les œuvres et propositions diverses sont comme des champignons dont nous sommes le mycélium en mouvement, difficile à cerner consciemment; cela me conduit a essentiellement densifier le présent de l’existant et à ne pas me soucier de l’avenir de ma production, de toute façon dans 11 millions d’années je pense (et bien avant) les habitants de la planète auront d’autres soucis à régler. Chacun possède aussi ses axiomes privilégiés, pour moi, la musique n’est pas l’art du son exclusivement, il est l’art de l’humain à travers le son... à savoir donc si l’on désire un art simplement d’expression de soi ou un art qui peut aller jusqu’à la notion de communication (sans démagogie, bien sûr, et qui n’exclut pas l’expression de soi pour autant). Dans le premier cas il y a une forte tension centripète qui bien entendu n’encourage pas les autres à être concernés particulièrement, dans le deuxième cas il y a une négociation entre le soi et l’environnement humain (qui n’est, certes, pas toujours simple) et qui tient compte des axiomes biologiques et sociaux des contextes humains environnants. Chacun pourra faire ses choix en fonction de sa sensibilité, mais il ne faut pas être surpris des conséquences des options prises tout de même. En ce qui me concerne, né sur une frontière entre deux cultures foncièrement différentes , je relativise beaucoup les choses, vision plutôt elliptique que centralisatrice; mais le fait d’être assis entre deux chaises est dans le fond très dynamisant et nous entraîne volontiers vers une sorte de nomadisme. En ce sens, mes propositions sont plutôt très hétérogènes, entre l’exploration acoustique et des situations modales ou tonales, entre l’écriture et l’oralité, dont l’improvisation. Dans ce dernier cas suivant les rencontres forcément très différentes (entre le koto japonais, la flûte basque ou le tamburello italien par ex.) je suis bien obligé de situer l’espace musical, dans les échanges forcément différenciés, entre les différents protagonistes. Je pense que le Xxème siècle a été celui de l’exploration acoustique (qui bien sûr n’est pas close) mais pour ma part le XXIe siècle pose d’autres questions, notamment à travers les imparables confrontations des diverses cultures ce qui peut présenter l’intérêt de se pencher sur sa propre mémoire et tradition occidentale en ce qui me concerne, et cette tradition était largement orale; les musiciens classiques et antérieurement étaient autant dans l’oralité que dans l’écriture. Le compositeur moderne est quelque peu né de l’époque napoléonienne exclusivement rivée sur l’écriture, ce qui a pu conduire à de belles œuvres et des recherches intéressantes sans nul doute, mais a aussi aigri sérieusement les rapports humains entre les différents corps de métier très spécialisés. Je reste donc persuadé que si le Xxème siècle était celui des radicalisations esthétiques (surtout chez les plasticiens) le XXIe siècle posera, je crois plutôt des questions d’ordre éthique dans la relation de l’artiste avec le séculier. Je ne sais si j’ai tort ou raison de penser les choses ainsi, mais il est évident qu’en peu d’années le monde a beaucoup changé politiquement, économiquement et socialement; il est donc évident que le statu quo des conceptions artistiques plantées sur les axiomes du XXe siècle passé risquent fort d’être rapidement obsolètes et nous serons conduits à des mouvements de pensée importants que chacun résoudra suivant sa nature et sa sensibilité. Je ne suis guère prophète non plus, mais d’ores et déjà je pense que si le Xxème siècle a été celui du développement acoustique ce XXIe siècle semble s’ouvrir sur un large développement de l’oralité pour la simple raison que l’essentiel des cultures de la planète s’inscrit dans le médium de l’oralité qui relevait d’ailleurs de notre propre riche tradition occidentale quelque peu sacrifiée après les bouleversements sociaux de la fin du XVIIIe siècle en liaison avec le développement de l’industrialisation et des orchestres très hiérarchisés qui ont conduit à développer les attitudes que tu regrettes chez certains musiciens installés. J’ai donc quitté tout narcissisme concernant ma production qui est simplement là... à prendre ou à laisser, mais il est vrai que ma pratique de l’improvisation est tout de même essentielle si l’on désire aussi communiquer en des voyages intérieurs et extérieurs; peut-être que la création n’est qu’un moyen et non un but, dans nos existences à mener chacun à sa façon...
amitié, François

Réponse de Mathius

Merci pour ta réponse François,

Il me parait clair que l'orchestre du XXe siècle (avant 1980) n'est plus celui du XXIe siècle qui pourtant demeure dans l'usage. Cette hiérarchie des orchestres classiques ne concerne plus nos musiques. C'est dans ce sens que j'essaye de rassembler des musiciens : histoire de jouer ensemble où l'humain me parait plus important qu'une exécution mécanique avec l'ordinateur. Comme toi, je mélange les pratiques : l'écriture pour fixer les idées, l'improvisation en tant que composition immédiate et les apports de la musique de nos ancêtres. Manuel Op de Coul (le créateur du programme Scala) m'a demandé pourquoi mes échelles nonoctaviantes étaient basées sur le ton (200 cents), c'est dans la continuation du savoir musical et dans la facilité de percevoir des échelles inouïes : du connu à l'inconnu.

Par contre ce que je comprends moins, c'est le désengagement du musicien. Il adhère au projet musical, mais ne le développe pas, il l'estime et offre une esquisse sans l'approfondir. Une attitude pour moi surprenante quant au faire de la musique. Faire de la musique « du bout des doigts » sans s'impliquer. Et le résultat est là : une esquisse, un essai, mais pas de la musique par respect de soi et des autres. Je suis sans doute très exigeant, mais je ne peux me contenter d'à-peu-près, sachant que je joue aussi comme musicien dans l'orchestre. Et ce qui compte c'est bien la « petite chose magique » qui ressort de l'ensemble, et quand elle n'est pas là, je me demande pourquoi tant d'effort pour un tel fiasco. D'autant plus que ma maladie me bouffe l'énergie dont j'ai besoin.

Je suis aussi convaincu que la propriété est une aberration, c'est dans ce sens que j'offre gratuitement mes albums, partitions et autres au téléchargement libre depuis un certain temps déjà. L'idée des re:compositions libres date de 1995 et suit son cours. Mes écritures sont suffisamment ouvertes pour qu'elles s'arrangent du contexte, je les ai conçus pour ça.

Quelle vie !

Mathius

Réponse de François

Cher Mathius, je crois que les musiciens vraiment impliqués ont toujours été relativement peu nombreux, déjà Bach s’en plaignait parfois, sans parler de Beethoven... etc., être musicien relève au point de départ d’une volonté relativement autodidacte et ceux qui pensent que c’est l’institution qui leur apprend la musique se plantent généralement. Dans nos conservatoires, on apprend la maîtrise instrumentale, mais aucunement celle des langages musicaux, ou autres humanités clarifiant éventuellement un sens à donner à l’engagement. En Inde, celui qui élabore un raga maîtrise son instrument, mais aussi le langage très codifié impliqué; demande à nos pianistes de simplement décoder la rhétorique tonale d’une œuvre de Schumann et c’est la piscine assurée... Comment peut-on interpréter Shakespeare sans connaître la langue anglaise y afférent ? Dès lors il est aisé de saisir la désaffection mentale des musiciens dans l’inintelligence d’une telle pédagogie...

amitié,

François

 

Voici la réponse de la musicienne Elisa Trocmé (clarinette contrebasse) à propos de la difficulté orchestrale de se rassembler et de jouer et de comprendre la musique des compositeurs vivants :

Réponse d'Elisa :

Mathius

Les musiciens ont souvent du mal à vivre de leurs productions musicales propres, alors s'investir bénévolement pour interpréter ta musique est bien sûr aléatoire, les groupes ayant déjà du mal à fonctionner étant donné que leurs membres cachetonnent à droite, à gauche...
De plus, je te dirais que la seule oeuvre de toi à laquelle j'ai participé (que des femmes) ne m'a pas plût, les textes surtout !
Ensuite quand je te propose de passer à la Pizzéria, tu me demandes de t'organiser le tout et de te trouver des musiciens... Hébé non, je n'ai ni le temps, ni l'énergie de faire ça, je n'ai déjà pas le temps de faire tout ce que j'ai à faire, et je m'occupe bénévolement de la programmation, l'accueille et de la publicité pour les musiciens qui passent à la Pizzéria...
Ton oeuvre pour sept pianos, à déjà besoin de 7 pianos en mauvais état et d'une scène sur laquelle les placer....
Les musiciens de plus en plus font des duos pour trouver des dates...
Bref, la problématique que tu soulèves est faussée, pour faire ce genre de travail il te faut des sous...
Monte un projet global et cherche des sponsors, ne demande pas aux musiciens de travailler gratuitement...

Bon courage
Bizzzz
élisa

Réponse de Mathius

Chère Elisa

Malheureusement (ou heureusement), l'argent ne règle pas tout.
La musique à laquelle tu as participé n'a jamais été achevée, à peine une esquisse. En à peine 3 jours de répétitions, est-ce possible de parfaire une musique de 2 heures avec 12 musiciens ?
Je pensais que tu connaissais des musiciennes avec lesquelles je puisse jouer, un solo ne me branche pas trop. Bien que par la force des choses sociales je vais être obligé de m'y soumettre.
Les pianos, pas sur scène non, mais en amas au centre de la salle, pour que les auditeurs puissent faire le tour : c'est une cérémonie du temps sans durée, qui implique : pas d'horaire.
Je n'ai jamais pensé faire travailler les musiciens gratuitement, mais je pense qu'il faut d'abord parfaire une oeuvre, et la vendre ensuite, pas l'inverse.
A Toulouse, je n'ai offert que des esquisses avec les orchestres pendant mes concerts, je n'ai jamais eu la possibilité ou le « privilège » (sic : est-ce devenu un privilège ?) de parfaire une oeuvre, jamais. Et il est plus honnête pour les auditeurs d'annoncer : « un état de fabrique », une coutume myrysienne (qui excuse la médiocrité ?). Le sponsorat ne concerne pas les activités où il n'y a pas de bénéfices rentables. Le sponsorat (tout comme le mécénat et le parrainage) est une manière détournée de la publicité et à la fois un soutien mutuel entre fabricants d'équipements et les sportifs utilisateurs de ces équipements. Dans la musique, les fabricants sont au stade de l'artisanat et n'ont pas les moyens du mécénat des industries millionnaires. L'industrie de la musique s'étant rabattu sur la production du type « Madonna » : la chanson de danse et de sexualité juvénile et n'a plus les moyens de produire les autres musiques qu'elle a rayées de ses catalogues il y a une trentaine d'années. Pour la musique, il n'y a pas d'argent Elisa.

je t'embrasse
mathius

 

Voici la réponse du musicien Eric Pailhé (saxophones) à propos de la difficulté orchestrale de se rassembler et de jouer et de comprendre la musique des compositeurs vivants :

Réponse d'Eric :

Cher Mathius,

Tout d'abord j'espère que tu vas bien !!! Et que tu es en bonne santé !!! Ce qui me préoccupe le plus, en tant qu'ami !!!
Je reçois également ta missive et je comprends tout à fait que tu sois déçu, si je puis dire, du non-engagement de certains musiciens qui pourraient jouer ta musique.
Que dire ???
Si ce n'est que j'ai eu pour ma part, à l'époque du trans-cul, énormément de joie à participer à ces deux symphonies collectives complètement improvisées. Du conducting en bonne et dûe forme, laissant la part de liberté à des musiciens capables d'explorer les territoires de l'impro, et ce, bien avant toutes ces expériences limitatives de sound painting et autres conneries du même genre.
Ta grande qualité de cette époque, et qui m'avait également motivé, était la passion sans concession que tu mets dans tous tes projets. Pour faire simple, réunir des improvisateurs pour faire de l'impro, coulait de source. Et tu as su fédérer pendant quelques années un noyau de gens qui aimaient à participer à tes aventures, tenter des expériences collectives. Ton immense énergie a su réunir d'innombrables individualités, personnalités et egos en tout genres...
Mais bon, vaste débat que la dimension de collectif. Le vivre ensemble et ses échecs à répétitions ?!
Comment arriver à trouver les musiciens qui pourront jouer ta musique ??? Bonne question !
Dans tous les cas, tu portes cette dimension de rassembleur. Tu l'as montré. Tu l'as fait.
Après, comment arriver aujourd'hui à fédérer à nouveau des énergies autour de ta musique ???
C'est sûr que tu ne disposes pas de fonds subventionnés qui te permettraient de monter des résidences artistiques pour créer et mener à bien certains projets. Certes le fric n'est pas tout. Mais bon, cela peut aider pour trouver des gens « motivés ». Qui pourrait passer le temps nécessaire à la bonne réalisation de ta création.
Au-delà de ça, il doit bien exister des gens capables de s'investir quand même. Ou alors ta musique est trop impénétrable ??? Ou alors, les musiciens à qui tu la proposes, n'en perçoivent pas l'originalité ??? Ou alors elle est trop en avance sur notre temps ? (temps de crise, frileux, réac, auto-centré, de survie perso et j'en passe...) Ou alors, les gens ne perçoivent pas qui tu es ? Pétris qu'ils sont de jugements, de critiques et autres dénis... ?!?
Je ne sais. Mais sûr qu'il doit y avoir des raisons à tout cela. Doit y avoir un truc à piger !!!!!!!!!!!!!!!!!!! Un tel statu quo, immobilisme, voire rejet, doit avoir une résonnance quelque part ? Karma ? Vie passée ???
Je me laisse parler-écrire et j'avoue que ton interpellation sur ce sujet sensible ne me laisse pas de marbre !!! J'aimerai que tu te trouves des musiciens à la hauteur de ta démesure !!!

Je ne sais pas mon ami.... Mais bon, je te souhaite tout le courage du monde. Porte-toi bien surtout.
Mes amitiés, mon respect,
T'embrasse
Eric

Réponse de Mathius

Salut Eric,

L'orchestre me tient tellement à coeur après l'expérience du Tran-Cultural que je n'arrive plus à m'en défaire ! Je rêve d'un orchestre trans-classe (avec des musiciens de tous horizons) qui puissent prendre du plaisir à interpréter les musiques que j'imagine. Tellement loin des musiques conventionnelles ! A investir leurs âmes dans la musique (toi tu sais de quoi je parle), pas à imposer leur pratique stéréotypée en étant sourds aux autres musiciens. Mais la routine de l'organisation hiérarchique sociale doit influer sur la formation de l'orchestre et la musique, la morosité ambiante (qui a plus de 30 ans), comme tu dis n'aidant pas. C'est en ce sens que je publie tous les textes du livre « Dans le Ciel, le Bruit de l'Ombre », pour essayer de comprendre et à la fois élargir la théorie et la pratique de la musique et son approche. Amener la pratique de la musique au niveau d'importance de la science et de la philosophie, comme le pratiquaient les Grecs de l'Antiquité. Afin de créer un champ possible de création de tout projet musical impossible en dehors de la tradition des musiques mortes.

à très bientôt
mathis

 

Voici la réponse du musicien Stéphane Marcaillou (guitare électrique) à propos de la difficulté de jouer et de comprendre ma musique :

Réponse de Stéphane

Salut Matt!
Juste une question tellement élémentaire qu'elle ne détonerait probablement pas entre 2 bonnes vieilles blagues CARAMBAR : Ta satisfaction à l'égard de ce qui s'est produit à Mixart Myrys n'est-elle pas partiellement entravée par une appréhension aléatoire de l'offre et de la demande qui lie Matt le compositeur et Matt l'auditeur ? Plus précisément était-ce un objectif clairement affirmé d'avoir une écoute unidimensionnelle satisfaisante d'une musique en majeure partie spatialisée, si tel est le cas il manque inévitablement une pièce au puzzle proposé et pas la moindre puisqu'elle ne peut reposer uniquement sur l'adaptabilité de musiciens jouant partiellement à l'aveuglette, l'absence de cette pièce ne m'a pas semblé problématique dans le sens où pour moi c'était une exploration, pas simplement dans le sens de l'aspect imprévisible du résultat final, mais aussi dans l'apprentissage en temps réel pour ce qui est de jouer sans s'entendre puis en s'entendant puis sans s'entendre puis en s'entendant puis sans s'entendre, que cela concerne sa source sonore ou celle des autres. Dans cette perspective, l'écoute unidimensionnelle de l'enregistrement concerné n'est qu'une base de travail, et non pas l'aboutissement magnifié d'une expérience : chaque musicien doit procéder avec attention à l'écoute de cette expérience pour améliorer son efficacité dans le contexte, cette écoute est le premier véritable outil de travail qui puisse fournir aux exécutants l'ubiquité nécessaire à un travail plus efficace, et puis mettons nous d'accord une bonne fois pour toutes : Est ce une expérience spatiale inséparable de l'espace à vivre ou 4e dimension, où est-ce de la musique à écouter dans son salon ?

Réponse de Mathius

Salut Stephane,
Je sais et je me rends compte que spatialiser en trajectoire la musique de l'instrument : "jouer sans s'entendre puis en s'entendant puis sans s'entendre puis en s'entendant puis sans s'entendre, etc." est un exercice plus difficile que jouer une musique localisée. Ce que j'ai détecté dans l'enregistrement que j'ai réduit de l'hexaphonie à la stéréophonie est la confirmation de mes doutes : personne ne s'écoute, à un tel point que l'orchestre artificiel censé accompagner les solistes est resté inaudible durant toute la partie du concerto, étouffé par les solistes. Eh oui ! Trajectoires spatiales ou pas, l'irrespect de la musique s'entend, voire le mépris, involontaire (?). Couronné par la surdité des 3 femmes scandantes (non hurlantes) d'une manif hors propos et l'absence du choeur de fillettes artificielles. Ce manque de sensibilité musicale, cet hermétisme affirmé m'a coulé. Vous êtes tous de bons musiciens, je n'ai rien compris. J'aurais dû arrêter le concert, et recommencer le concerto depuis le début. Ou même tout recommencer. L'idée ignoble : "the show must go on" a eu raison de moi avec une migraine de concert : il fallait que le cauchemar passe. Je pense que cette musique à l'avenir devra être travaillée sans moi. A vous de vous organiser, moi je vais passer à autre chose : je n'ai pas la force physique (ni nous n'avions le temps) de supporter les caprices de chacun (ma santé ne s'améliore pas). Je ressens cette expérience comme un gâchis humain, bien que les spectateurs n'ont rien entendu ! Il va me falloir un peu de temps...
a+
mathius

 

Voici la réponse du musicien Laurent Paris (percussions) à propos de l'alternative sans solution de se soumettre à ce qu'offre le possible social, soit de rester isolé :

Réponse de Laurent

salut ...
J'ai pris le temps pour te répondre, parce que tes mails sont tellement longs et virulents qu'il faut les digérer ...
Il y a beaucoup d’aigreur et de déception dans ce que tu écris, et tu sais aussi bien que moi que la musique que l'on écrit ou que l'on improvise ou que l'on construit, est rempli des sentiments qui nous habitent consciemment ou pas ... A mon sens la poésie n'est pas un domaine de recherche, mais plutôt l'expression d'un vivant vécu de l'intérieur ...
Concernant les musiciens, nous sommes nombreux aussi à monter des projets personnels ou en groupe pour élaborer notre musique ... Le travail de création est complexe, long, différent pour chacun d'entre nous, et nous ne faisons pas que cachetonner quand nous ne jouons pas avec toi ... Chacun a son propre parcours, parfois confus, mais toujours respectable ...
Quand ça ne marche pas, ça n'est pas forcement la faute des autres ... Tu n'es peut-être pas en phase avec ton époque, c'est possible mais ça ne serait pas la première fois que cela arriverait à un compositeur ... Soit, tu trouves des formes dans ta création, compatibles avec l'époque et les musiciens qui t'entourent, soit tu insistes dans une voie qui te semble la seule possible et à toi d'être assez convaincant pour fédérer autour de toi ...
Personnellement je pense que je ne vais pas insister dans ton projet, je m’investis de plus en plus sur des projets personnels qui me demandent beaucoup de temps et d'énergie ... Je ne regrette pas le peu de temps que j'ai passé à travailler avec toi, j'ai rencontré des gens intéressants et passionnés ...
Bonne chance et bon courage pour la suite ...
Tu voulais une réponse, voici la mienne, j'espère qu'elle sera positive à tes yeux ...
a+
Laurent

 

Situation & identification des musiciens
L'orchestre impossible du XXIe siècle
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être en même temps sans être ensemble


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