Les modes désoctaviants ?

 

 

La théorie musicale, toute théorie musicale est une mathématique de l'audible. Toute abstraction mathématique profonde de la cuisine du compositeur sert à générer une musique renversante à la sonorité unique. Pas comme la physique même acoustique qui vérifie la cohérence des calculs par rapport à la réalité physique et de l'audible entendable entendu. La musique sert à sonner le sens de la vie humaine. Un sofa miroir pour que l'espèce ne se laisse pas périr. Mais si la théorie musicale (le solfège) est si rébarbative et crue si compliquée, c'est en partie à cause d'accumulations sans fin de mécompréhensions [et d'ignorance] qui cultivent la confusion générale. Dans le monde de la musique, personne n'est d'accord avec personne, c'est ce qui en partie génère sa diversité musicale. Le langage de communication de la musique n'est ni homogène (bien qu'à base mathématique) ni standardisé (bien que la théorisation occidentale s'efforce à tout simplifier dans la fusion et l'unicité). Exemple : la culture anglophone emploie un seul mot « scale » pour désigner 3 choses différentes que nous nommons : échelle, mode ou gamme. À la base même, l'entente est difficile. Je ne peux pas parler de modes en les désignant échelles. Pour construire une théorie musicale cohérente qui prenne en compte les besoins maximums des compositeurs et surtout qui sert à créer des musiques variées et différentes et représenter le style du unique compositeur, il faut que cette théorie offre des sources infinies où la limite du système ne se perçoit du 1er coup ; il en va de sa longévité.

Après l'épuisement des possibilités « tonalitaires » [tonalité totalitaire ?] de la précédente théorie [qui n'est pas + tonale qu'une autre avec drone/teneur/tonique pour support mélodique soliste, voire devenue abstraite par la fausseté de sa gamme par l'égalisation de ses intervalles harmoniques] devenue historique [qui est toujours utilisée à être répété encore et encore + d'1 siècle après] = où aucune nouveauté ne pouvait être extraite, il n'exista pas que la proposition-solution dodécaphonique puis sérielle. De Shoenberg à Boulez (1907-1977), les compositeurs du XXe siècle se soient engouffrés irrésistiblement pour s'y consacrer entièrement [sauf Messiaen et quelques dissidents tel Xenakis]. Pourtant de belles idées fusent de partout pour faire renaître une nouvelle théorie. Les nombreuses propositions apparaissent sans pour autant former une théorie musicale cohérente et complète prête à l'exploitation musicale intensive. En particulier une très belle idée prometteuse venue de St Petersbourg [la ville de St Pierre] (ancienne Köningsberg [ville des rois] où résidait le mathématicien Euler) : sortir la musique de l'octaviation.

L'octaviation est un processus de consentement de fusion, sinon de confusion, de plénitude et de terminaison ou de commencement ; l'ouverture de Ainsi parlait Zaratoustra de Richard Strauss magnifie l'octave. Les pieds dans le plat, ça octavie de partout ! Au point que le reste de la musique paraisse fade (sic). L'octave est le 1er intervalle : 2. L'intervalle 1er de la série dans lequel on ne distingue pas ses 2 notes. Elles sont fusionnées par doublage. L'intervalle d'octave [8ve] est le rapport : 2. Si notre mode majeur eut 8 notes, aurait-on nommé cet intervalle : « nonave » ? Ou si notre mode majeur eut 6 notes, aurait-on nommé cet intervalle « heptave » ? L'illogisme des désignations reflète l'intérêt contextuel : « il n'en fallait qu'1, l'élu majeur, pour dominant des autres ».

[Toute théorie musicale reflète une idéologie politique, celle des hommes et des femmes citoyennées ; car la musique ne leur sert qu'à entendre ce qu'ils elles veulent entendre de la réalité politisée et moralisée dont ils et elles ne se représentent pas la vie autrement. Musicalement cette idéologie est passée. En 1907 avec le dodécaphonisme, Schoenberg [beau bourg] introduit le communisme musical : « Tous pareilles et en série »]

Le mode majeur fut élu parmi 792 modes heptatoniques octaviants. On lui dessina une portée exclusive pour contenir 221221 [ou : 1 1 1/2 1 1 1/2] où ses points de notes sont sans altération. Mais être majeur exige pour exister qu'un autre soit mineur [tel : sans pauvres pas de riches, sans bêtise pas d'intelligence]. Le mode mineur est altéré dans la portée du majeur à 2122221. Déficient, divergent ? En +, il [ou elle ?] est triple : l'ascendant n'est pas le même que le descendant : 2212212. Et la 3e apparence du mode mineur harmonique possède l'exclusivité d'une tierce mineure : 2122131. Les Indiens [d'Inde] n'ont pas fait de favoritisme modal. Ils ont considéré 72 modes en 12 groupes de 6, dont le 29e est le mode Dhira Shankarābharanam [notre mode majeur], le 22e est le mode Gauri Manohari [notre mode mineur ascendant], le 28e [jusqte à côté du majeur] le mode Harikāmbhoji [notre mode mineur descendant] et le 21e le mode Kiravāni [notre mode mineur harmonique, avec une 3ce mineure]. Les 28e et 29e font partie du 5e groupe et les 21e et 22e font partie du 4e groupe. * [http://centrebombe.org/livre/10.0.4.html] Tout ça pour donner à comprendre la relativité de tout classement. Les Indiens n'ont retenu que les modes heptatoniques octaviant. Alors que dans l'octave de 12 tons ou semi-tons, un mode commence avec 5 tons : le mode pentatonique et va jusqu'à 11. Ce qui donne un ensemble de 3521 modes octaviants ou à l'intérieur du cycle.

1ère ouverture à la polyscalairité nonoctaviante : se libérer du cycle

+ que la solution-proposition polymodale [avec 3521 modes octaves] qui reste à l'intérieur de l'8ve et qui n'est pas épuisée, sortir de cette confusion du cocon dual 2/1 pour s'évader du cycle infernal ou vicieux de la fusion imposée [de soi dans l'élu], est une libération puissante [du poids de la morale qui interdit tout, sauf le pire]. Une idée véhiculée en 1928 par Ivan Wyschnegradsky pour la nonoctaviation scalaire où il découvre 5 échelles nonoctaviantes des 4 échelles multiples du ton égalisé : 1/3, 1/4, 1/6e, et 1/12e de ton, 5 échelles nonoctaviantes : 5/12e, 7/12e, 10/12e = 5/6e, 11/12e et 13/12e de ton ; respectivement les échelles de 83,33.. cents ; 116,66.. cents ; 166,66.. cents ; 183,33 cents ; 216,66 cents. 1ère ouverture à la polyscalairité. Poussé par le désir des compositeurs d'aller explorer les intervalles + petits que le « semi-ton chromatique » égalisé **. Les micro-intervalles étaient bien connus dans l'Antiquité pour que chacun en extrait son « comma » ***. La 2de solution de sortie, moins radicale car restant sur/dans la même échelle, est venue du chef d'orchestre théoricien Nicolas Slonimsky en 1947 **** qui proposa de construire des modes au-delà de l'8ve *****. Modes doubles octaviants aussi : 131231132131. On imagine la quantité phénoménale des modes possibles à ignorer le cycle 8ve = 2/1 et à considérer les intervalles externes internes qui le constituent. Une voie que découvre André Riotte en 1978 ****** avec ses modes non congruents ou « courbes » extraits du criblage xenakisien de l'échelle chromatique qui croit ou décroit le nombre de notes + les notes s'éloignent de l'octave d'origine. Voie qui n'a pas été totalement explorée.

 

C'est là où la distinction importante est à faire.
Un « mode désoctaviant » caractérise les modes sans octave issus d'une échelle cyclique octaviante.
Et, de l'autre côté :
Un « mode nonoctaviant » caractérise les modes issus d'une (ou plusieurs) échelle nonoctaviante,
échelle cyclique ou acyclique, symétrique (à divisions paires) ou asymétrique (à divisions impaires).

 

Chiffrer ?

Il est fondamental de savoir de quoi on parle ou de quel comptage on parle : intervalle ou note ? Cardinal ou ordinal ? Le modèle du cycle horloger à 12 heures utilisé pour localiser les hauteurs dans le cycle s'enferme sur lui-même et ne donne pas à pouvoir compter au-delà de son cycle.

Qu'est-ce qu'on chiffre ou numérote ?

Coller un numéro sur un élément ne fait pas de cet élément être l'identité du numéro qui lui est collé. Prisonnier 35485-4 n'est pas l'homme désigné. Surtout dans le contexte hiérarchique du faux mérite pour être obligé à écouter la glorification des lâches. Encore moins collé un nom. Mais si on veut être d'accord on doit parler des mêmes choses qui portent un même nom. Ou bien être conscient de l'arbitraire de la nomination et que cette nomination ne donne pas la réputation qui lui est appliquée.

Il y a +. Le chiffrage des notes n'est pas le chiffrage des intervalles.
On construit des échelles avec des intervalles, pas avec des notes.
Les notes sont les représentants des intervalles.
L'intervalle est l'espace sonnant le temps.

Tout chiffrage fausse la réalité acoustique.
Tout chiffrage est faux par rapport à la réalité.
L'abstraction ne s'entend pas, contrairement à la musique.
Un même accord sonne différemment suivant le contexte instrumental dans lequel il est joué.

L'octave invariante de l'écriture et du conditionnement est dans l'absolu injuste.
Ou l'octave ne peut pas être juste à cause de l'infinité de l'entre temps.
Toute synchronisation est toujours une approximation à cause de l'entre-temps infini des intervalles de temps.

L'exemple de la 5te qui vaut 5, mais 5 quoi et où, est un non-sens si on ne cite pas sa base de calcul.
Quand Xenakis proposa sa théorie des cribles, la base de calcul est 12 (semi-tons de l'échelle) et chaque résidu (= note résultante) du criblage donne un mode noté par son intervalle et sa base de calcul. Dans Z12 une 5te vaut 7 [7 semi-tons].
Suivant l'échelle ou le mode, la 5te se chiffre différemment : 5 indice 7 (pour le mode heptatonique), 7 indice 12 (pour l'échelle chromatique).

Par quoi on commence par 1 ou par 0 ?
Dans l'ensemble N on commence par 1
Dans l'ensemble Z on commence par 0
0 pour un intervalle désigne l'unisson.
0 pour une note désigne la 1ère note de la gamme, de la suite, de l'accord.
0 pour midi ou minuit.
12 = 0.

...

 

Note
* À observer le classement indien de leur 72 modes
[sur 792, extraits de l'échelle de 12 tons/8ve]
divisés en 12 groupes de 6,
on comprend que leur obtention a été réalisée par la combinatoire
où qu'un seul groupe utilise une 3ceM
[sortant du diatonisme convenu pour se joindre à l'enharmonisme arabisant] :

le 1er groupe est caractérisé par les 1ers intervalles : 1132 les 3 suivants varient 1 2 3 dans l'8ve
le 2d groupe est caractérisé par les 1ers intervalles : 1222 les 3 suivants varient 1 2 3 dans l'8ve
le 3e groupe est caractérisé par les 1ers intervalles : 1312 les 3 suivants varient 1 2 3 dans l'8ve
le 4e groupe est caractérisé par les 1ers intervalles : 2122 les 3 suivants varient 1 2 3 dans l'8ve [celui de nos 2 modes mineurs]
le 5e groupe est caractérisé par les 1ers intervalles : 2212 les 3 suivants varient 1 2 3 dans l'8ve [celui du mode majeur et mineur descendant]
le 6e groupe est caractérisé par les 1ers intervalles : 3112 les 3 suivants varient 1 2 3 dans l'8ve
le 7e groupe est caractérisé par les 1ers intervalles : 1141 les 3 suivants varient 1 2 3 dans l'8ve [le seul groupe avec 3ceM]
le 8e groupe est caractérisé par les 1ers intervalles : 1231 les 3 suivants varient 1 2 3 dans l'8ve
le 9e groupe est caractérisé par les 1ers intervalles : 1321 les 3 suivants varient 1 2 3 dans l'8ve
le 10e groupe est caractérisé par les 1ers intervalles : 2131 les 3 suivants varient 1 2 3 dans l'8ve
le 11e groupe est caractérisé par les 1ers intervalles : 2221 les 3 suivants varient 1 2 3 dans l'8ve
le 12e groupe est caractérisé par les 1ers intervalles : 3121 les 3 suivants varient 1 2 3 dans l'8ve

voir là, le tableau des 72

** Jean-Etienne Marie, L'homme Musical, 1976 Arthaud.

*** Lire le chapitre 15 : History of Intonation de Harry Partch dans Genesis of a Music, 1949-1974 qui commence 27 siècles avant notre ère en Chine est une spéculation pour la course au mérite national. Notre culture occidentale indo-européenne commence l'histoire des gammes musicale 3 siècles avant notre ère avec Pythagore. Mais il est manifeste [it is obvious] que les gammes à 5 tons sont beaucoup + anciennes qu'on ne veut le savoir. La raison est simplissime : NOUS AVONS 5 DOIGTS par main, ça, pour creuser 5 trous dans un tube en os ou autre pour en faire une flûte, ça, pour pincer 5 cordes en même temps d'un arc posé sur un résonateur, mais + avec le lithophone (ancêtre des instruments à lames percutés tel le marimba -mot bantou- le vibraphone et le xylophone) : des plaques de pierre de différentes dimensions frappée avec 2 branches taillées au silex, dont un trou en terre sous chaque plaque fait résonateur, etc., les gammes commencent avec la naissance de l'humanité qui généra les 1ères musiques il y a 30 000 ans, ou 600 000 pour la naissance de notre espèce qui ne pouvait pas demeurer silencieuse dans un environnement sonorisé dans l'air et dans l'eau.

**** Thesaurus of Scales and Melodic Patterns, 1947 Scribner & Sons.

***** À comparer avec les 7 modes à l'intérieur de l'octave et à transpositions limitées d'Olivier Messiaen (Technique de mon langage musical, 1944-1955), on perçoit la sonorité de la distance entre : ce qui sonne à l'intérieur et, ce qui sonne à l'extérieur. Doit-on spéculer pour une musique du Dedans/Dehors ? Une musique enfermée et une musique libérée ? Nan. Toute la musique devrait sonner l'intelligence de la liberté de l'humanité.

****** André Riotte, Formalisation de Structures Musicales, Université Paris VIII département d'informatique, 1978. Livre disponible à la bibliothèque du centrebombe.

Les modes, pas la mode, de la musique

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