les lignes d'erre
1982
musique errante : les lignes d'Erre (1) (2); Erre (1) (2); les Voix des Airs.
C'est à cause (la grâce de la cause) de Fernand Deligny* que l'idée de Lignes d'Erre m'a marqué l'esprit (en lisant son livre « Les lignes d'erre » aujourd'hui perdu), une obsession des cartes aussi sans doute, mais l'idée d'un cheminement sans but avoué avec des arrêts émerveillés et son inscription précise me faisait penser à la possibilité d'une musique libérée de son carcan partitionnel (l'idée d'être parqué avec les limites qu parquage). Cela rejoignait aussi l'écriture ondale que j'avais développée avec XØ pour orchestre et Ourdission pour flûtes auparavant, tout en la dépassant ou pas : une suite de points devient des lignes continues. Des partitions continues qui s'attachent plus à la gestualité du sens sonique qu'à l'expression de paramètres quantifiés. Pour une libération de la notation musicale mécanique, fortement impulsée par John Cage, mais en dehors de son son quantifiable à durée limitée.
Le premier instrument de musique auquel j'ai pensé qui pourrait jouer cette continuité de lignes est un instrument polyphonique à cordes jouées avec un archet et dépourvu de frettes sur sa touche qui divisent la continuité en stations. Un tel instrument malheureusement n'existe pas et j'ai dû me rabattre sur le violon et l'alto qui offrent la possibilité de se déplacer tout en jouant. Ces instruments ne possèdent que quatre cordes avec une longue et pesante histoire de leur technique, mais on peut faire avec en les multipliant et en appliquant une autre technique de jeu (pour les plus ouverts**). Tout le concept des lignes d'erre repose sur l'hésitation, le contraire de l'assurance; dans l'esprit, dans le geste, dans l'attitude et dans le jeu où les musiciens deviennent autistes : essayer de toucher le monde dans son absence. Cet état d'esprit bouleverse le jeu instrumental : il est anti-démonstratif et hypersensible. La première étape de cette musique est de former l'esprit à cet état d'appel de communicabilité avec un monde étranger. Pour cela il fallait donner des indications hésitatoires dans un graphisme continu pour la gestualité sonore de la musicienne et du musicien où la partition ne suffit plus.
Dans la continuation de l'écriture Ondale, mais sans repères.
Pour tracer nos « lignes d'erre » musicales, nous avons déroulé des rouleaux de papier et tracé en continu les cheminements des doigts sur la touche avec leurs arrêts indépendamment de la pression hésitante de l'archet qui réalise son propre parcours sensible de découverte du monde vibratoire.
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À la place du mot « partition », nous proposons le mot Åźƒøńæ pour : « graphisme de musique qui inclut sa langue (technique) »***.
Les musiques d'Erre se réalisent à la commande dans le contexte particulier de sa concertation. Aujourd'hui, j'appelle ce qui était appelé « partition », une PROPOSITION OPERATOIRE qui s'ajuste à chaque différents contextes. Une musique uniformisée, ne m'intéresse pas....
(1) . Les Lignes d'Erre : pour violons et altos
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(2) . Les Lignes d'Erre : pour très grand orchestre dans la nature
Les files de musiciens qui filent et se croisent où l'audible s'échappe par le relai. Des tours avaient été conçues pour l'élévation.
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(3) . Erre : pour voix a cappella autour de l'arbre à micros
Où un micro correspond à un haut-parleur. En bougeant la voix autour de l'arbre forme des trajectoire spatiales. L'arbre en contenait 14 : une boule de 14 micros. Schéma.
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(4) . Erre : pour voix, large tambour, branches de laurier et synthétiseur EMS VCS3
Musique rituelle du silence du « moindre geste » où les repères ont été effacés des cartes.
[format A3 .. pages en attente de scannage]...
(5) . Les Voix des Erres : pour haut-parleurs suspendus dans les airs en sillages
La complication technique d'élever une kyrielle de haut-parleurs dans les airs. Ballon à hydrogène + cordes (et de très longues longueurs de câbles en kilomètres). Dans cette version, le haut-parleur remplace le musicien. La difficulté de cette installation est comparable à la sphère d'Osaka pour Stockhausen, mais sans l'architecture, avec les Voix des Airs, on est dehors. Mais contrairement à Stockhausen, cette installation doit profiter à tous les compositeurs et musiciens intéressés de produire une oeuvre avec un très grand nombre de haut-parleurs en sillage dans les airs. Combien de haut-parleurs dans le Pavillon Philips de Xenakis à l'expo universelle en 1958 ? environ 350.
La tendance aujourd'hui est-elle à l'émerveillement ?...
(6) . Erre dans la forêt : pour un complexe tubulaire délocalisateur sonique
La déportation des sons des instruments par les tubes où les musiciens sont enfermés dans des cellules de plexiglass (ou pas : le tube à la fonction d'un microphone) desquels sortent les tubes qui relocalisent le son ailleurs (sur les km), (et) dans un auditorium où tous les tubes arrivent fixés aux 6 parois du quasi cube poreux où les mélomanes se trouvent surélevés au sur une plate-forme poreuse à mi-hauteur. Schémas.
Encore un autre émerveillement non réalisé !...
BASE
Exemple d'écriture Ondale monophonique soliste sans accident à intervalle de temps unique sur une échelle de 59 musiciens ou tons (sur la ligne) ou 61 musiciens ou tons (au-dessus et en dessous), c'est selon : la localisation du point représente un musicien et/ou une hauteur et/ou une palette de quoi que ce soit d'audible (haut-parleurs, voies de console de mixage, un attribut instrumental comme la pression, etc.). Ce type d'écriture de 1982 est issue de mon désir d'introduire la turbulence dans la musique. Et ça fonctionne !
Le même exemple que ci-dessus, mais avec son champ en mouvement (fixé par l'image). Le champ est une extension de la « portée » qui comme elle, repère pour localiser : quoi est où. Avec le papier en rouleau d'écriture continue déroulée, nous avons cette possibilité qui varie avec le point de vue de l'interprète. Un champ unique signifie qu'il est monoscalaire (une seule échelle). L'avantage du champ musical est qu'il est polyscalaire dont différents champs interagissent entre eux. La mollesse du champ signifie que les proportions sont en mouvement, ici en mouvement dépendant. Dans ce mouvement du champ et de ce qu'il porte, les proportions ne sont pas autonomes, mais se tiennent à un mouvement d'ensemble.Plus loin, on écrit plusieurs champs mouvants aux proportions mobiles : la fixation sur papier devient insuffisante et on passe à une écriture technique de disposition (qui n'a rien de musicale) à base de schémas et de connexions en fonction du contexte de la concertation. Pour l'instant.
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Nous approchons la limite de l'écriture pour la musique
« suivez les instructions indiquées » NON
il n'y a aucune raison de suivre les instructions indiquées
(que celle de me soumettre à ta domination)
on ne suivra pas les instructions indiquées
on ne veut pas suivre les instructions indiquéesÇa et là et ça reste et repart
Rien ne vient de nulle part
Tout (avec rien) vient de partout, sans part.
Toi, moi vient de là
Toi moi vient de là-bas
Moi vient de toi
Toi vient de moi
lien liaison liée
Tout vient de là
Plutôt de là-bas
Pour toi qui vient de là
Ce là qui donne le ton
Qui vient du si.
Si tu es là, y a-t-il une raison ?
La raison du nombre qui fait suite
La suite de ce qui était là
Et que je ne vois pas
Vient de ça et là
L'écriture errante vient de l'écriture ondale. Les lignes de points se métamorphosent en lignes de courbes. Elles continuent. Le mouvement ne s'arrête pas. La feuille de papier inscrite de la courbe, des lignes de courbes. La musique écrite sort du chiffre de paramètres qui se dosent. + -. ++ --. +-+. -+-. et cetera.
Ourdission est une écriture musicale pour les flûtes d'abord, puis tout instrument monophonique à « attaque » (sans agression) marquée (la courbe de l'enveloppe) à l'impulsion sonique marquante et non douce et lente (pente douce) qui surprend par sa présence : « ah, t'es là ! ». En fait tous les instruments de musiques sans racisme qui s'affirment.
La version errante de l'onde de l'écriture ondale a commencé avec le violon, l'alto : 2 instruments à cordes frottées portés sur lesquels les doigts glissent sur les cordes sur la touche. Les 4 doigts glissent sur les 4 cordes appuyées sur la touche sans arrêt.
La partition errante est un long rouleau de papier sur lequel les courbes par 1 2 3 et 4 cheminent sans arrêt. 1 doigt par corde. index, majeur, annulaire et auriculaire sur la 4e 3e 2de et 1ere corde (sol ré la mi pour le violon ou scordatura & do sol ré la pour l'alto ou scordatura) et inversement et différemment. Les limites des distances entre les doigts glissants sont dépassées quand s'ajoute un et plusieurs autres musiciens (le genre importe pas) qui houent ensemble les écartements impossibles à jouer seul.e (il n'y a pas de genre neutre en français qui là serait bien nécessaire). Le dessin des courbes est libre comme l'errance de la ligne. Il peut tracer des grandes quantités de passages. De passages répétés, le même trajet avec ou pas de variations volontaires, de modification de trajet. Du trajet de l'esclave qui va de sa couche au travail (perpétuellement jusqu'à sa mort avec la peine naître dedans et la peine être dedans, souffre le poids de l'existence un être humain qui se prive de sa liberté et s'en plaint en accusant l'autre de son état) jusqu'au trajet sans répétition qui est le trajet de l'errance qui se renouvelle à chaque instant. Un trajet court. Un trajet long. lent. rapide. éclair. instantané. le temps d'une vie. Il est possible de répéter un trajet court, il l'est moins quand il est long. Le trajet d'une vie ne se répète pas, le trajet d'un instant non plus. Tout comme le trajet de la découverte et de l'exploration. S'ils se répètent, on ne découvre plus rien de ce qui a té découvert. La seconde fois (sans compter les autres), il n'y a plus de surprise. À moins d'avoir manqué quelque chose. Le trajet est répété par les mêmes visions. Là je connais, je suis déjà passé par là. Si la vision (la mémoire figurée) change sur le même trajet, c'est que la position (de tout et du reste et la mienne) a changé : le même trajet dans un autre état. Ce qui est nommé : trans position ou ici transerrance (une position est fixe, une errance est mobile).
Si la trans portation (transpartition c'est autre chose) n'est pas le fait de sa propre volonté (sans manipulation ni influence) ça se nomme : dé portation (dépositionner ou être re-positionné, rééduqué à la normalité de l'acceptable imposé, normaliser nous dirait Michel Foucault) et en masse (pour un large orchestre) ça se nomme : exode (pour fuir) et ex pulsion pour être (re)jeté (hors du territoire du domaine champ approprié par des hommes armés et violents aux mêmes vêtements). Là, le trajet libre est contrarié (voire annihilé) par des limites. La limite naturelle du précipice dans le contexte de la pesanteur qui écrase les corps. Non (ça se résout avec un pont des ballons et des ailes), les limites réalisées par les êtres humains, celles des nations et des propriétés. Celles où pour passer, il faut soit prendre les interstices invisibles ou acheter les clefs qui ouvrent le verrouillage. Acheter des pass avec limite d'âge. Pour payer encore et toujours = pour soumettre encore et toujours (où les uns vivent pour faire chier les autres sinon ils s'ennuient). Payer pour passer le pont du précipice. Ou : payer toutes les propriétés sur lesquelles on voudrait passer (par hasard). Est un paradoxe. Acheter les propriétés à l'avance annule l'exploration de l'errance = du trajet non répété. L'errance est annihilée. La négociation d'acquisition demande des mêmes trajets répétés pour satisfaire chacun ou les arnaquer tous. Ce qui n'est pas le but des musiques des Lignes d'Erre. Si le trajet est volontairement répété, c'est que quelque chose a été manqué pensé comme un a priori donc pré supposé comme tel. Si à chaque même passage, il y a quelque chose de différent, c'est que sa liberté trouve une échappatoire dans sa « mémoire sélective ». Le détail d'un passage. Sur lequel focaliser. Ce n'estqu'en ça que le re passage peut être toléré par la liberté. Ne pas répéter le passage est l'expression de la liberté. Et de l'oubli. La mémoire amnésique répète la même chose la croyant différente.
L'oubli fait croire à la nouveauté. En réalité ce sont les états d'esprits qui se heurtent. L'un routinier avec l'autre explorateur. L'un terrorisé avec l'autre curieux et passionné. L'un croyant (cru savant) avec l'autre savant (su croyant). Pour la liberté, fait qu'il n'y a qu'en ça que le passage peut se répéter : respirer est le fait de l'oubli de l'air. Vivre est le fait de la mort : ça dure qu'un temps. L'amnésie fait répéter le même trajet qui fait à chaque fois une découverte. Une nouveauté à repérer. Ne pas répéter le passage est l'expression de la liberté. L'amnésie musicale s'exprime par la non-répétition de ce qui est connu. L'ivresse (la transe) musicale répète pour se réfugier dans l'amnésie.
Mais ne pas répéter pour un musicien est ne pas savoir-pouvoir jouer le passage : est-il ?Peut-on jouer des passages sans répéter ? Des passages qui découvrent d'autres passages d'autres choses en permanence ce pour quoi nous partons. Nous partons en voyage, d'autres par cours, là-bas qu'ici. L'apprentissage d'un instrument de musique passe-t-il obligatoirement par la répétition du passage ? La tradition (de la répétition = qui crée l'habitude, le familier de la famille et du clan et les étrangers accompagner du sentiment de redouter d'appréhender l'extérieur inconnu). La tradition fait croire que oui : il n'en est rien. Ce n'est pas la répétition du passage qui va faire que se passage sera « correctement » joué. Non. C'est la manière de jouer (tout et n'importe quoi) qui va faire que la musique (pas que le passage) sera jouée pour résonner dans les autres ou pas. La tradition instaure des effets attendus (et examinés puis évalués aptes ou pas = obéissant à la loi ou pas). La musique sans surprise que l'errance contrarie par l'inattendu et l'inentendu qui surprend et entretient l'étonnement et son ravissement.
Si la page du rouleau est blanche, c'est que le trajet est libre. Bien que des chemins soient préparés, le hors-piste est possible, même souhaitable. Si le trajet est marqué, c'est que quelqu'un est déjà passé.
Là, je prends du recul.
Si répéter le morceau le passage crée la monotonie de la routine, il est alors + judicieux de concevoir le système d'opérations sous-jacent (le champ théorique matriciel) pour s'épanouir dedans, dans les manières de jeu données (l'attitude du geste instrumental). La forme jeu (musique ou pas) n'écrit (n'impose) pas le trajet du joueur à répéter à réexécuter une action. Le jeu propose une manière de jouer propre au jeu dont le joueur dispose. On ne répète pas un morceau un passage, on apprivoise la manière (qui peut être sauvage = inobéissable impré visible) de jouer (d'agir) avec les gestes que donne le sens du système aux règles fixes et changeantes. Un système à force de le jouer (de répéter le jeu = rejouer : on fait une partie) dévoile ses systématismes, et ne ravit plus l'esprit explorateur de découvertes : tout est connu dans le jeu, il n'y a plus de surprise. C'est à ce moment qu'on change le jeu en changeant les règles du jeu. De la ligne (à une dimension 1D), nous passons à l'espace du temps (polydimensionnel changeant) pour découvrir autre chose d'inconnu. La « partition » de musique (sans partitions) devient alors UNE MATRICE DE POSSIBLES d'autres liens qui apparaissent (par la culture de l'ouverture d'esprit) quand l'un accompli est passé du passage. Le sens profond de la musique se trouve aussi exactement là....
Notes
* Fernand Deligny (1903 - 1996) explore l'indicible avec les enfants autistes tout en rejetant la mise aux normes que pratique la psychanalyse et la psychiatrie. Développe une communication au-delà des mots pour comprendre les différences d'un être semblable en communiquant avec l'incommunicable. Ignoré et rejeté du système social dominant médical qui n'a malheureusement pour but que de se débarrasser des humains inaptes à la médication et au travail.
** nous connaissons l'esprit conservateur et la fermeture d'esprit à toutes nouveautés (différences) de la majorité des violonistes des conservatoires.
*** L'autre alternative est d'interpréter musicalemùent : les graphismes, cartes des lignes d'erre des enfants autistes avec qui Fernand Deligny tentait de communiquer et se comprendre.
Voici un aperçu d'images de quelques lignes d'erre dessinées par les enfants qu'on trouve sur Internet :
Toute la différence entre le dessin technique d'une partition et le dessin libre de la contrainte de commande.
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