Désonoriser le Concert
désonoriser les dictatures
Le sens de l'amplification
La sonorisation (avec le sonorisateur) s'est emparée d'un pouvoir qui lui est indu. Celui de vouloir tout amplifier dans la sonorisation, même les instruments électriques qui ne le nécessitent pas. Dans le monde des « musiques extrêmes » « hardcore » quand un sonorisateur dit à un musicien : « joue moins fort, tu es plus fort que la sono » et « baisse ton ampli », on se demande qui fait l'équilibre de la musique de l'orchestre : le sonorisateur de la salle de concert du festival ou les musiciens. C'est dans ce sens que je dis que le sonorisateur s'est emparé d'un pouvoir qui lui est indu : celui d'imposer la sonorité de la musique dont il n'est pas l'auteur. Cela va jusqu'au paradoxe que le musicien n'entend plus sa musique qu'il produit, car ce qu'il entend dépend du sonorisateur (et de la production commerciale) et non de lui-même (retours, monitoring, contrats). C'est dans ce contexte où l'institutionnalisation de la régie (son et lumière + écran vidéo) prend une place avantageuse dans le travail intermittent (du spectacle) où la régie fait office de sédentaires (en salaire et en carrière) contre des musiciens nomades (de passage au cachet) : autrement dit des visiteurs exploités dans un empire sonorisé de scènes et de salles (dont le stade est le comble). Le musicien a perdu la souveraineté de sa musique. Le musicien a perdu la souveraineté de sa musique par son commerce (sa vente) et par sa sonorisation (sa sonorité).
A quoi sert la sonorisation ?
A écouter ce qui est émis sans autre alternative. A amplifier les sons de la musique (de la parole compréhensible d'abord et de la musique ensuite). Le mot « haut-parleur » pour désigner le dernier maillon de la chaîne amplificatrice est parlant, signifié. Dans ce sens, la sonorisation repose sur l'écoute massive (mass industry). La sonorisation est un maillon de l'industrie de la propagande (publicité (promotion publicitaire), spectacle (politique, musical), « événementiel », meeting politique spectacle, etc.) l'idée de la foule qui écoute (obéit) attentive à ce qui « sort » de la mégasono, à ce qui est signifié de la mégasono. Le cas de la musique est pervers, car la musique en elle-même n'a pas de signifié contrairement à la parole. Mais on comprend pourquoi, la chanson est confondue ou amalgamée à la musique dans l'industrie musicale. La chanson a des paroles, la musique n'en a pas (l'opéra et autres formes de chants de la musique classique n'a pas l'impact économique et social de la « chanson populaire »). La chanson populaire industrialisée, autrement dit : monopolisée par l'industrie du divertissement permet de « parler haut à la foule qui paye ». A mettre en accord sur un ton (monotonie, monotonalité), celui de l'orateur, sonorisé par les haut-parleurs puissants (qui confirme la puissance de l'orateur - sa force - et l'inaudibilité impossible de la « masse-peuple » c'est-à-dire de l'écoute dans l'obéissance).
Jouer/parler face à des milliers de personnes fait tourner la tête. Fait, qui fait partie de la forme orgasmique du pouvoir. Le pouvoir d'émouvoir une foule en s'émouvant soi-même. Une foule homogène qui se meut d'un même geste : une entité, une force qu'une seule voix (avec l'aide de la sonorisation) peut mouvoir pour se mouvoir. La jouissance de la communion monothéiste que la religion chrétienne (et musulmane et juive et hindouiste et bouddhiste : les religions monothéistes nées d'écrits postérieurs aux prophètes : bible, coran, torah, etc.) se retrouve dans les « grands rassemblements » face à une sonorisation frontale où l'on voit l'orateur (chanteur). Cette position de la sonorisation : d'être frontale, a l'importance de la vision. La voix doit être vue. La voix doit être vue pour renforcer le sens. Une télévisualisation monumentale. La télévision et le cinéma sont les médiums majeurs de nos sociétés écrans où le dialogue est impossible. Télévision et cinéma n'offrent qu'une communication à sens unique qui donne « des ordres » par le fait d'émettre une information unique. L'information répétée devient habituelle et acceptée par habitude « ça ne dérange pas » (sic). L'enjeu majeur d'Internet est de proposer une communication à sens multiples qui signifie la fin des monopoles et des dictatures.
La sonorisation est liée indubitablement à la foule. Sans foule à ordonner, la sono devient inutile.
Déviation haut-parlante
À partir de la fin des années 70, la génération de musiciens dont je fais partie commença à détourner la fonction première de la sonorisation (celle d'ordonner la foule dans l'union, la communion pour n'entendre qu'une seule voix, par une voie) pour s'offrir un « bain de son » dans une masse complexe (multiple) de sons dans laquelle l'auditeur fait son propre chemin d'écoute (libre de choisir). L'idée de l'encerclement sonore vient de là. Créer un espace vibratoire de tous côtés avec un choix. Cauchemar Atomic (1979) fut conçu dans ce sens : les auditeurs sont entourés par les amplis 3 corps des musiciens. Le massage du corps avec des basses suramplifiées. La dérivation, le désir de « surround » du cinéma (qui idéologiquement est en contradiction avec l'image sens-unique frontale où le dialogue est impossible) est venu de ça : des concerts-bain sonore, mais sans la puissance du massage ni une réelle délocalisation (la parole reste au centre de l'écran). Mais ce type de concert bain-sonore encerclant reste rare par l'indisposition des salles à l'italienne (frontale) et pour des raisons économiques : 2 haut-parleurs coûtent moins cher que 4 (carré), 6 (hexagone), 8 (octogone), etc. (l'expérience du pavillon Philips à l'expo universelle de Bruxelles en 57 diffusant la musique d'Edgar Varèse et celle de Iannis Xenakis sur 400 haut-parleurs va dans ce sens).
Mais c'est à partir des années 50, après les fascismes, les déportations « raciales », les impérialismes totalitaires, les assassinats massifs dans des guerres-horreurs, que la musique et le théâtre contemporain ont trouvé le désir pressant de sortir de la vision frontale du totalitarisme. La spatialisation (la multiplication des scènes, des points d'écoute) permet de sortir de la dictature, de dicter la foule à s'accorder et être d'accord avec le haut-parleur. Plusieurs haut-parleurs sont plusieurs voix et voies idéologiques où l'auditeur fait son choix. L'orchestre divisé en 3 pour Gruppen et en 4 pour Carré et la quadriphonie de Kontakt de Karlheinz Stockhausen vont dans ce sens. L'orchestre de haut-parleurs acousmatiques sur la scène frontale de la musique concrète puis électroacoustique du Groupe de Recherche Musicale : moins. Dans la foulée, les premiers spatialisateurs apparaissent (après les bricolages de Stockhausen : un haut-parleur fixé à une table tournante avec 4 micros autour). Le calcul précis de l'informatique (computer = compter) pouvant piloter des VCA (voltage control amplitude = amplification pilotée par voltage) a permis de simuler la délocalisation du son dans l'espace 3D : la simulation de trajectoires audio. Ourdission (1982) à sa création en 1983 à Londres a disposé d'un pilotage par ordinateur 8 bit d'une matrice de VCA. Notons qu'aujourd'hui, ce type de spatialisation devient obsolète, car l'idéologie dominante n'est pas encore au dialogue, mais reste retranchée dans l'obéissance. Mais je persiste dans cette voie qui me passionne : être et vibrer dans le bain de sons qui valdinguent dans l'espace tridimensionnel est une expérience inouïe d'ouverture d'esprit.
Concert sans sono (
concertation musicale sans sono (Le concert où il faut tendre l'oreille est devenu une nécessité face à l'hégémonie de la sonorisation et des sonorisateurs (favorisés par l'intermittence aux dépens des musiciens). L'accord des auditeurs ne se fait pas dans la puissance du front de la sonorisation où l'inconfort d'écoute est devenu pathologique (présence permanente des bouchons d'oreille à l'entrée des concerts sonorisés). Ce qui est devenu inacceptable n'est pas le volume sonore, mais sa puissance qui empêche d'être soi-même (sa propre vibration est échangée contre la vibration imposée unique et frontale). Pendant les années de soulèvements de la jeunesse des années 60 et 70 du XXe siècle, jouer et écouter la musique fort était un signe de contestation et de désir de liberté de jouir du son protégé d'un mur sonore (dans son espace personnel dans sa collectivité affectueuse - époque de l'amour libéré de la jeunesse) dans des états de conscience modifiée. Modifier sa conscience à l'aide de la musique et des substances interdites disponibles était un acte de révolte, et de refus de vivre dans une société du travail obligatoire où règne l'hostilité (époque de terreur d'un risque permanent d'un bombardement atomique américain et soviétique). Modifier sa conscience réactive les cérémonies sacrées de « possession » ou de transes collectives prohibées par nos sociétés du travail obligatoire. Ecouter la musique fort et longtemps (le disque vinyle « LP - long play », avec 2 faces de 20 minutes) permettait de se détacher de la propagande environnante hostile et audible à travers la radio et de la télévision qui envahissaient l'espace familial intime. Aujourd'hui, la jeunesse se détache du monde des adultes avec des écouteurs dans les oreilles.
Un concert sans sonorisation n'est plus tributaire de la sonorité et du monopole de la sonorisation et retire en même temps un coût (payé plus cher que les cachets des musiciens eux-mêmes) qui est devenu une dépense obsolète et inutile. Un concert sans sonorisation refuse notre contexte de société sous contrôle.
Aujourd'hui, il s'agit de retirer tous les intermédiaires (parasites gouvernants) entre les auditeurs et les musiciens pour pouvoir échanger à nouveau la musique qui depuis 40 ans se trouve violentée dans l'anonymat et la dictature des politiques culturelles et de l'industrie du divertissement. La désonorisation est l'une d'entre elles.
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La musique spatiale contrarie les dictatures
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