À quoi sert écrire de la musique ?
Le stéréotype ? tue l'inventivité et reproduit l'invention !
La composition musicale est un jeu (mieux vaut qu'un travail, bien que s'en soit un) d'habilité mnémonique ou, l'art de défier la mémoire dans l'entendu. Écrire de la musique, c'est temporaliser le souvenir : l'oublier, le confondre, le décontextualiser, l'altérer, le transposer, le faire disparaître, réapparaître, l'éroder, le développer, l'épanouir, en gros : le métamorphoser, la durée de la musique « qui n'a pas seulement pour résultat d'effacer, de transformer ou de développer (= d'exagérer) », mais « donne le change sur le degré de réalité de son support » [1]. Support qui donne l'habilité de distinguer l'identifiable en métamorphose : ici ailleurs le même différent. Le souvenir est l'identifié, une identité remarquée, car remarquable, qui attire l'attention, la retient ou la lâche. Dans le monde de « la musique classique » (= romantique européenne du XIXe siècle) ce souvenir se nomme « le thème » qui est mélodique (une mélodie) et ses transformations : « thème et variations » et développement. La mélodie, plutôt le souvenir d'un air (aria) qui demande du souffle (pneuma) importe parce qu'elle est reproduisible par la voix et reproductible pour le commerce qui y applique une propriété : une marque (par le copyright anglais et le droit d'auteur français). Monopole thématique qui n'est plus détenu par la mélodie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Composer de la musique est une pratique créatrice de sympathies soniques, mais n'est pas toute la musique. Le jeu instrumental et vocal est un acte dans l'instant, l'instantané dans l'instant infini, car sans mémoire à thématique temporelle (dans le jeu improvisé, il n'y a pas de mémorisation identitaire, car dans l'immédiat de l'instantané du jeu, sonner des identités sonores mémorisées revient à re-jouer une disposition une composition). S'il y a réflexion, pensée, il y intention de composition, d'écriture, d'enregistrement, c'est-à-dire le désir de manipuler la mémoire temporalisée de ce qui est enregistré. La tradition de la musique écrite sert l'exploration des capacités et des possibilités de notre mémoire. Le compositeur envoie un message audible, une réflexion (un va-et-vient) de l'auditeur à l'auditeur qui s'en satisfait ou pas selon son humeur, sa disposition d'esprit, ses convictions crues, sa capacité de distinguer et son ouverture d'esprit.
Voilà à quoi sert écrire de la musique.
La poésie, comme la musique navigue entre l'oral et l'écrit. Écrire est un acte solitaire. Les êtres humains se sont mis à écrire pour se rappeler, se souvenir. La majorité des écrits découverts en langue cunéiforme (des clous) sont des registres de comptabilité. La poésie remet en question le signifié, la musique sans (débarrassée du) signifié manipule le signifiant : la matière abstraite identifiable ou pas.
Écrire se manifeste aussi quand il y a censure. Quand la voix rendue muette (par la langue coupée) rap-porte dans l'écrit ce qu'il y a à dire. C'est le cas du philosophe, diseur de vérité que le politique redoute, car il commande sans réfléchir les conséquences (pour les autres) de ses actes. Socrate demeure le symbole de la civilisation occidentale de cette censure de la vérité par sa condamnation à mort (bien avant le Christ). Le dire interdit = la liberté de la sincérité qui ridiculise les (faux) secrets du pouvoir politique. La voix qui ne peut plus dire et se faire entendre la vérité se réfugie dans l'écrit qui retourne en sens inverse à l'oralité à la moindre occasion de dire.
L'écriture, l'enregistrement, ou la mise en éternité de la mémoire commence par un viol. Une agression sexuelle. L'agresseur, membre de la famille ne peut qu'être maudit sans aucun mot dit. L'agressée ne peut que rester muette par l'incroyable l'improbable de l'acte d'agression et, de la honte familiale générée par l'opinion des autres qui jugent, prêts à médire (le commérage). La philo (l'amour) [2] mène sa sophie (la vérité) par écrit (depuis le meurtre de Socrate renforcé par le meurtre de Giordano Bruno et tant d'autres philosophes). La musique (la sympathie) mêle sa sophie (l'honnêteté) par l'air de sa mélodie contre le mensonge signifié de la parole des commandants envers les commandés [3].
Pour celles et ceux qui ne peuvent se faire entendre dans le présent. Conjoncture politique et sociale qui empêche de se faire entendre dans son présent vécu. On écrit. Le mutisme éloigne la voix mutée de l'instant pour la détemporaliser dans le futur (la transporter pour des êtres conscients non encore nées) et nous porteurs de voix absente disparaître avec le passé (mourir) mais restés dans la mémoire universelle de notre civilisation : l'encyclopédie (par le message du livre où est inscrite la parole muette libre à lire dans sa tête). Écrire de la musique, c'est écrire des idées agencées dans une lettre, un message aux musiciens absents et inconnus. Mal aimé et incompris ne pouvant sonner la même langue, ma voix d'autre trombe terrifie par son absence présente : « qui es-tu et que veux-tu étranger d'ici ? à vouloir faire sonner les voix assemblées ensemble dans l'orchestre en public ? » La vérité est indicible, car trop douloureuse à ça voir des hommes qui ont choisi vivre avec le masque de l'illusion (de l'hypo crise) dans la servitude.
Prendre la parole, c'est prendre un risque. Le risque de la parole n'est pas que politique (= révélation de la servilité sociale). Le risque de la parole est d'avoir dans sa parole vraie du faux. Sans le savoir, sans en prendre conscience. Où l'obstination crée la croyance génératrice de (fausses) certitudes et de nuisances et de peines pour soi et les autres.
J'écris pour inventer. Pas pour reproduire l'oubli de la mémoire [6]. Pour inventer d'autres manières de chanter l'audible insignifiant, le vibrant sonique qui prend sens de et par la liaison (la copulation de la résonnance = la mise en instant synchrone de différentes attentions). Ma participation à évoluer l'humanité à sortir de sa servitude.
Notes
[1] Roger Caillois, L'incertitude qui vient des rêves, 1956.
[2] philo prend sa source dans hôte pour devenir ami puis amant pour qui quelqu'un est cher. C'est la racine de la sympathie sans qui les ondes sonores ne pourraient pas exister. [4]
[3] Le paradoxe de l'orchestre sur le modèle militaire date du XIXe siècle.
[4] Philomèle [5] n'est pas une muse [6], bien que les 9 muses de Zeus unit à Mémoria (pour : l'oubli des maux ? est une contradiction) où copuler avec la mémoire doit créer l'oubli par le chant ? La déroute ou l'erreur du divertissement, de la diversion vient-elle du désir de la mémoire d'oublier de vivre de soi ? par le chant de la voix ?
[5] Dans le récit d'Ovide, Philomèle se transforme en rossignol et Procnée en hirondelle : « Philomèle va gémir [le rossignol gémit-il ?] dans les forêts ; Procné voltige sous les toits » et non le contraire où Philomèle (= amour de l'air mélodique) la langue arrachée ne peut plus que crier comme l'hirondelle et Procnée assassine de son fils est transformée à s'occuper exclusivement de sa progéniture comme l'hirondelle. Le chant du rossignol est le 1er à se faire entendre à l'aube et dont les paroles « les femmes sont dures dures dures, faut les battre, faut les battre, pour les ramollir » (en boucle) transmis par la tradition orale du mâle dominant pour mémoriser la mélodie répétitive du rossignol.
[6] « Par les Muses héliconiennes commençons le chant » : le début de la Théogonie d'Hésiode est le plus riche « document » sur les Muses et sur leur rapport au poète. Parfois filles d'Harmonie, ou de Terre et de Ciel, la tradition hésiodique les fait naître des neuf nuits où Zeus s'unit à Mémoire qui enfanta, avec « neuf filles de même souffle », « l'oubli des maux et la trêve des soucis ». Cet oubli qui naît de la mémoire — Freud pourrait-il dire sublimation ? — a neuf noms : Clio (la célèbre), Euterpe (la bien-plaisante), Thalie (l'abondante), Melpomène (la chanteresse), Terpsichore (celle que le chœur réjouit), Ératô (l'aimée), Polymnie (celle aux tant d'hymnes), Uranie (la céleste) et Calliope (la belle voix), la première de toutes ; il correspond, peu à peu, à neuf arts, parfois changeants : dans l'ordre, l'histoire, la poésie lyrique (ou bien la flûte), la comédie, la tragédie, la danse, la poésie érotique, l'hymne, l'astronomie, la poésie épique enfin. Encyclopédie Universalis 2009 article Les Muses de Barbara Cassin.
Écriture et sens de la composition de la musique
L'un des + anciens textes qui nous est parvenu non fragmenté et suffisamment cohérent pour être compris et interprété aujourd'hui, est le Yi King (ou Yi Jing) chinois daté de 3500 ans (beaucoup + ancien que la Bible, les textes des présocratiques et le Tao te King) de l'âge de la fin de la civilisation de la vallée de l'Indus, mais en Chine. La particularité du Yi Ching est qu'il développe une langue, sa propre langue, c'est-à-dire des correspondances entre les signes et ce qu'ils signifient. Le Yi Jing est aussi une démonstration de l'esprit combinatoire : avec un nombre d'éléments restreints, réaliser une collection étendue de signes différents. Le Yi King utilise 2 signes : un trait plein et un trait rompu qui combinés par 3 (3 à 3 avec répétition) est donné par la formule de l'arrangement. Le nombre d'arrangements possibles est 2 puissance 3 = 8, 2 signes 3 à 3 donnent 8 signes possibles :
aaa bbb
aab bba
aba bab
baa abbCes 8 signes combinés 2 à 2 (8 puissance 2) donnent 64 signes (d'une table, telle celle de l'échiquier) qui ont été correspondus à 64 sens qui par un tirage parmi 64 possibles donne une palette suffisante à expliquer l'inexplicable oublié dans la quotidienneté. Si le Yi King traverse les millénaires, c'est que l'esprit humain inquiet de sa contextualité se rassure dans la divination (le tirage au sort avec les mots qui rassurent). Ce que le Yi King apporte, sans donner aucune solution (recettes toutes faites à appliquer au problème) mais suggère assez pour s'en contenter.
Cet état d'esprit combinant et sonnant est celui qui fait exister toute théorie de la musique, celle occidentale incluse :
un nombre limité d'éléments (notes d'échelle, durées de rythmes, instruments de musique)
qui combinés donnent une grande variété différentiable de sensations audibles.Mais dans l'état d'esprit de la musique occidentale écrite à partir du VIIIe ou IXe siècle (800), le chant grégorien * avec les neumes (de pneuma = souffle) réalise la volonté politique de Charlemagne (du pape Grégoire au VIe siècle ? hum. C'est Adrien 1er qui a fait Charlemagne empereur) d'uniformiser l'empire chrétien (peuplé de « barbares » indépendants qui bredouillent qui borborygment (sic) = qui ne s'expriment que par le gargouillement intestinal = le repas qui repait le brouteur) par le chant rituel similarisé dans l'écriture latine temporalisée du chant grégorien (pourtant Grégoire n'a rien à voir dans l'histoire qu'être cité pour le prestige ! il s'agit du « chant officiel du royaume carolingien »), c'est-à-dire : écrire l'ordre d'une seule direction donnée par l'abscisse du temps : les neumes. Cette unicité directionnelle (de l'écriture textuelle) pour favoriser la fusion (en un = avec le dieu unique = dans l'obéissance) par la synchronicité militaire des hommes en marche qui conquièrent le monde. En effet, 2 forces synchronisées doublent la force par 2, etc. L'amplitude aussi : 2 pour 2x, 4 pour 3x, 8 pour 4x, 16 pour 5x, 32 pour 6x et 64 pour 7x + fort, etc. L'idéologie religieuse et militaire réside dans la synchronicité des différences similarisées. D'où les manoeuvres des troupes (= troupeaux de croyants = « brebis égarée » sic à faiblesse féminine à rassembler, re-sic) militaires (manoeuvrées) synchronisées pour le passage en force dans des zones de résistance = viol, assimilé et confondu avec la conquête (la quête, l'aumône des cons ? non : recherche et emprise, pour appropriation, aux dépens des autochtones pacifiques assimilés ou assassinés). La monophonie en force dans l'unisson tenu par le temps en abscisse pour assimiler et similariser les différences humaines.
Interprète et exécutant
Depuis le XIVe siècle à partir de l'Ars Nova, les compositeurs s'efforcent de libérer l'unique dans le multiple (l'unifié dans la multiplicité = la reconnaissance des différences), de libérer l'écriture de sa temporalisation exécutrice siégeant dans la violence simpliste de l'ordre en proposant la polyphonie par la superposition de différentes voix à différentes vitesses. Et, en conjonction, en finir de courir après le temps, après la pulsation de l'horaire imposé. Arrêter d'être derrière, en retard, mais plutôt être bien dedans dans l'allure convenue ensemble : la différence entre être « in » et « out », accepté, pas rejeté du groupe en structure hiérarchique pour favoriser les retardataires et le stress, et, comprendre qu'un ordre reçu d'un autre met + de temps à s'accomplir qu'un ordre émis de soi sur soi avec les autres.
Quand l'écrit ne dicte plus à obéir, quand l'écrit n'impose plus, mais propose et se dispose, l'interprétation reprend sa place volée par l'exécution. Exécuter similarise, c'est le résultat de l'obéi qui doit répéter le même ordre comme preuve d'obéissance ; se différencier revient dans ce contexte à désobéir, un affront à l'autorité, une insulte punie par un châtiment accepté par tous (oui, c'est insensé !). Interpréter différencie, c'est le résultat de l'utilisation de l'outil liberté, la liberté est un outil pour distinguer à se distinguer. Qui, à l'opposé, pour la musique, est un paradoxe : comment percevoir l'indistinction ? Toutes et tous sur le même ton statique figé (la fusion dans l'obéi) . Une idée crue sur des années automatise les attitudes, pour en faire des habitudes, au point d'être persuadées être innées ! En réalité, rien n'est acquis, tout se transforme.
Symbolisation d'écriture rythmique dans la pulsation (et la perception du double)
Base
1ères sensations primaires liées à la conscience
pulse : | | | | |
Et conscience quantique :
2x+ : | | | = 2, le double
2x- : | | | | | | | | | = 1/2, la moitié
etc.A la recherche d'une écriture rythmique sans durée
Des 2 écritures classiques : 1. celle du geste instrumental nommé tablature EG (= Ecriture du Geste) et 2. celle chorale de quantités mesurées (hauteurs + durées) nommée partition (= partie de la musique à jouer par chaque musicien, nommée depuis le XIXe siècle par les éditeurs : matériel d'orchestre). EG mixé à EQ peut donner une écriture idéographique symbolique possible. Écrire de la musique oblige à des convergences artificielles (ou forcées) entre le visible et l'audible assimilé au visible (pas le contraire, bien que ça soit cru) où l'audible invisible est impensable sans être écrit qui pourtant le devrait (rare sont celles et ceux qui pensent par l'audible). Ensuite dans le monde visible de l'écrit, entre 1. l'écrit temporalisé du texte linéaire (= combinatoire signifiée temporalisée en abscisse), 2. l'écrit quantifiant, calcul par les nombres qui fixe par des chiffres des correspondances égalisées (le principe égalitaire de l'équation) et 3. l'écrit du geste, graphisme du mouvement des parties du corps dans le temps en abscisse, il y a l'écriture « hors-temps » pratiquée et par Xenakis tels ses « plans d'architecture » retranscrits dans la notation musicale classique et par Stockhausen dans une écriture qu'il désirait détachée de la contrainte linéaire du temps en abscisse, tels les idéogrammes chinois, tentée avec Plus-Minus, malheureusement non-développée, qui reste + un exercice de style et - une intention de bouleversement des visions d'esprit pour les musiciens-écrivains.
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Symbolisation d'une écriture rythmique sans durée
Comment écrire un rythme sans durée ? L'écriture idéographique sans durée symbolise une intention, une action. L'algorithme (sans y **), suite d'opérations bouclées qui donne différentes solutions, différents résultats possibles. André Riotte dans les années 80, a ainsi algorithmisé des pièces simples de Stravinsky, Bartok et Messian (communication personnelle) où l'algorithme « remplacerait » (mon désir) la partition linéaire, + toutes les variations possibles qui sont produites par l'algorithme. L'esprit synthétique matriciel remplace l'esprit discursif linéaire. Imagine le tollé chez les éditeurs ! nous, compositeurs inéditables, faisions tourner les photo-copieuses ! Il existe la nommée « musique algorithmique » pour dire « automatique » en informatique qui n'a jamais pris : « les humains automates, ça suffit » est autre chose. Mais l'idée de pouvoir synthétiser en 1 page, ce qui était écrit en 100, ne peut que séduire la paresse des créateurs :) = supprimer du travail inutile d'écriture pour le même résultat. ***
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Une de mes langues de signes musicales (qui va servir à composer la musique de l'Oratoire 1968 pour choeur et orchestre spatialisé)
Je suis parti de l'idée de combiner les 3 attitudes connues : 1. son tenu : ─, 2. son glissé vers l'aigu : /, et 3. son glissé vers le grave : \. Avec ces 3 possibles (il n'y en a pas d'autres) combinés 2 à 2 on obtient 7 formes d'intervalles :
Ces 3 attitudes 2 à 2 donnent : 1 intervalle stable et 6 intervalles mobiles :
— — — / \ / \
— / \ — — \ /... jusqu'à une nombre de superpositions au-delà de la distinction de 8 différences espacées.
Cette micro-écriture, est introduisible dans la macro-écriture « ondale » créée avec Ourdission en 1982.
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Notes
* « le chant messin, prototype de chant grégorien, parut sous le règne de Charlemagne auprès du diocèse de Metz » Wikipedia article « Chant grégorien ».
** de l'espagnol « alguarismo » = arithmétique, pas douleur ni algue (= algo-) en rythme.
*** je pense à ma musique « Les tueures de trombes » pour 4 ou 8 ou 16 trombones qui en 4 pages comprend toute la musique, alors qu'une écriture temporalisée en demanderait des centaines.
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