Le degré zéro de la musique

faire avec rien

 

LA MUSIQUE N'EXISTE PAS

 

Qui ne serait pas impressionné par le possible d'un « degré zéro » de la pensée et du faire musical ? c'est-à-dire, effacer tout acquis (toute éducation et toute culture) pour re-concevoir une musique à partir de rien. Ou : « la musique n'existe pas, que vais-je faire pour qu'elle existe ? ». Merci Roland Barthes : sans avoir lu votre livre « le degré zéro de l'écriture », mais dont votre titre a marqué (à jamais) à concevoir le « degré zéro » d'une pensée pour une création nécessairement originale. C'est une excellente méthode pour commencer quelque chose : faire le vide pour savoir ce que l'on veut vraiment sans copier ce qu'on apprécie : qui restera toujours « un, voir plusieurs degrés » en dessous de l'original copié. La méthode du degré zéro est créatrice d'originalités. On puise dans soi et nulle part ailleurs tout possible sans restriction. Le degré zéro permet de se débarrasser de la tyrannie de l'écriture enseignée et du langage imposé. Le degré zéro permet de réinventer d'autres manières musicales jusque dans sa pratique de l'habitude. Le degré zéro permet l'impossible décrété par la pratique imposée du « juste goût » en usage. Il permet d'aller voir ailleurs où personne n'ose aller explorer. Il libère des acquis pas forcément nécessaires à créer d'autres musiques : celles de soi. Celles qui nous taquinent à sortir de soi (et non à rentrer en soi).

 

QUE PUIS-JE FAIRE ?

 

L'origine du rien n'est pas sans méthode. La première chose à faire est d'investiguer. Découvrir du possible ou rendre possible. Constater ce qui est possible avec ce qu'on a autour de soi. Prendre ces possibles et les rassembler. Construire une manière de rendre ces possibles sonnables dans le contexte possible choisi. Cette manière va donner une approche qui façonnera une écriture puis un système musical unique : celui investigué. Cette méthode a un nom, c'est la méthode exploratoire.

 

 

Posons chacun la chaîne de questions qui doit aboutir à l'origine du rien (le degrés zéro de la création) :

. de quoi puis-je faire la musique ? . que faut-il pour sonner ? . sonner ? . la musique doit-elle sonner ? . qu'est-ce qui sonne et pour qui ? . le sonne, qui le produit ? L'auditeur (le percepteur) ou l'actionneur (le producteur) ? . la sonorité du sonne comment ça se fait ? . une suite du sonne de la sonorité ou une suite de sonorités dans le sonne ? . A tout sonner en même temps dans quel temps ? Les temps de qui et pour qui ? . Les cosmogonies forment nos temps : nos conceptions vécues du temps, visions du temps ? Le vibre met le temps en évidence. Nos vibrations imagent nos temps différents. Musique vibratoire qui ne sonne pas ? . ou : les instruments de musique n'existent pas, c'est quoi un instrument de musique ? . des matériaux bricolés qui sonnent dans la tête . des objets manipulés par des humains qui émettent des vibrations entendues . d'entendre du vibratoire de quelque part . un intervalle de temps . quelque chose qui m'émeut le corps et l'esprit du souvenir émouvant . un truc à silence . un truc à boucan . trop de choses à la fois pour le comprendre :
A chacun ses chaînes : ...

 

 

IL Y A MAINTENANT PLUS DE MUSIQUE
SEULEMENT QUELQUES SONS POUR SE SENTIR SOI-MEME VIVANT
SEULEMENT QUELQUES SONS POUR SE SENTIR SOI-MEME EN SECURITE
MAIS LE SON NE PEUT EXISTER
PUISQU'IL EST UNE INTERPRETATION DE NOTRE ESPRIT DE CERTAINES VIBRATIONS

 

] Je suis parti de ça [ pour mes premières compositions : que faire avec un bout de bois et une guitare ordinaire pour générer de l'inouïe ? Comment appréhender et synthétiser la gestuelle d'un bout de bois qui frotte les cordes d'une guitare ? À quels différents gestes correspondent différentes sonorités ? Décomposition des sonorités par des mêmes sonorités détectées dans différentes sonorités ? Composition du tout en dehors du temps des horloges. Une résultante trop complexe à l'écriture, mais une écriture des intentions plus simple à la lecture. = « Il m'est impossible de donner un titre à ce phénomène, car l'indicible au-delà des bords extrêmes de l'espace et du temps ne porte pas de nom ». N'importe quel objet peut-il être un instrument de musique ? Quels gestes appliquer à l'objet pour le faire sonner ? Quoi à écouter et comment ? Comprendre de rapport entre les gestes et les résultats soniques. Maîtriser et agrandir sa collection de sons inouïs. Jouer les sons que je ne comprends pas. Avec quoi j'agis sur l'objet instrument de musique. À force : quand un objet peut raconter une histoire sonique il devient instrument de musique. L'objet est soi : donc tout est instrument de musique. Puisque tout vibre. Et si tout vibre, tout est instrument de musique. Notre Univers est un instrument de musique, mais qui ne se maîtrise pas. Il y a des instruments qui jouent sans nous et ceux qui ne peuvent être joués pour sonner. Jouer de la musique : jouer un jeu. La musique est un jeu. Je vais essayer d'organiser les sonorités avec un jeu. = « Ludus Musicae Temporarium (Jeu de Lampes d'Architectes) ». Propulser de l'air dans un tube. Le sens du vent. La turbulence du vent. Être dans le tube assis face au vent. Que puis-je entendre ? Le fond de l'espace jusqu'au tapage de ma tête. La naissance du son. De la douceur hétérogène à l'homogène en furie. Déflûtage de flûtes. La turbulence des vibrations dans la flûte transportée dans l'édifice tubulaire : là où nous sommes assis. = « Ourdission ». Comment entendre l'inaudible ? Comment utiliser la technologie de l'amplification pour entendre l'inaudible ? En quoi l'inaudible est-il musique ? Augmentation du taux de complexité des sons par l'audition de l'inaudible. Quel est le moyen d'avoir la musique trop près de soi ? Une présence à la fois reléguable en fond, et tactile sur soi ? De l'insonique au touché sonique (massage et autres grattages) ? = diverses de mes musiques ont bénéficié des réponses.

 

 

L'attitude traditionnelle des avant-gardes occidentales dans l'art est de briser la tradition. « Puisque c'est comme ça, je vais faire autre chose » est la voie courante qui construit l'histoire de l'art occidental [1]. Chaque artiste est unique et « Les traditions s'inventent comme le reste » [2], mais elles perdurent et se renforcent dans le temps. Tradition (de transmettre) et moderne (de récemment) forment le couple aux hostilités ouvertes depuis des siècles, mais les modernités avec le temps s'incluent dans les traditions. Même dans le cas où tradition et modernité (mot aujourd'hui usé) se mélangent dans le présent, cela ne pourra donner qu'une modernité. Certes moins violente (pour le traditionaliste) qu'une modernité à part entière [3]. Il y a ceux qui vivent avec le passé et ceux qui se renouvellent dans le présent. Ceux qui vivent avec le connu et ceux qui explorent l'inconnu. Que peut-on faire avec cet état de fait, peut-il évoluer vers quelque chose de moins hostile ? Mais sans les deux attitudes, il n'y aurait pas d'histoire de l'art : l'une la garde et l'autre l'invente. Mais toutes deux demeurent trop éloignées pour former un équilibre favorable où à la fois l'une « mange » l'autre. Le passé « mange » le présent dans notre Occident. Est-ce notre tradition ?

 

...

 

Notes
[1] Jusqu'à la fin des années 70 les avant-gardes se suivaient dans l'histoire en succession linéaire, depuis le début des années 80, elles ont explosées en d'innombrables filières et se multiplient en un réseau complexe de recherches locales pas nécessairement reliées.
[2] Hobsbawm, Ranger, 1992, sité par Pascal Ory dans l'Histoire Culturelle (2004, PUF)
[3] je pense aux « nouvelles simplicités », mouvement régulier qui fait un recul dans la tradition (dans ce qui est acquis) avec « une pointe » de modernité ou au désespoir post-moderne d'emprunter dans le passé en re-mettant au goût du présent. Ces compositeurs post-modernes tel que Michael Nyman ou Gavin Brayers nous ont offert des oeuvres très touchantes.
[4] ma « désinstruction (...) me fut plus utile que toutes les instructions imposées par les [lois des*] hommes, et vraiment le commencement d’une éducation. » Il serait temps que l'éducation nationale prenne acte de cette constatation d'André Gide. Le système scolaire français dégoûte de la connaissance : nécessaire à la formation d'esclaves incultes.
Note de la note [4]
*c'est nous qui appuyons.

 

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