rythmes élastiques, hésitatoires,

et : mécaniques

 

Qu'est-ce que le rythme musical ?

Une conscience de son comportement dans le temps du contexte. Chaque comportement donne un ensemble de mouvements qui spécifient le comportement. Mouvements replacés sur l'instrument de musique dont les mouvements temporels appliqués sont soit réalisés à partir d'une théorie commune (un solfège) soit à partir d'une recherche personnelle spécifique. Où l'un ne va pas sans l'autre : la recherche personnelle personnalise la théorie commune, la dépasse et se différencie (pour les démarches originales).

Dans cette théorie, soit le rythme se mesure (se simplifie = se mécanise), soit il se réalise sans repère (développe ses subtilités). Un rythme mesuré est un rythme qui localise des repères à des distances temporelles voulues égales quantifiées par une horloge mécanique (ou pas : pour des cas marginaux) externe qui compte (ou pas : pour des cas marginaux) : c'est le socle du rythme appliqué à la danse commune (pour plusieurs) : LE MEME POUR TOUS. Un rythme immesurable est un rythme qui se pose sur nos rythmes biologiques internes de notre corps et du contexte (qui demande une écoute attentive de notre corps et du reste) : respiration, battements du coeur, contraction/détente de chaque muscle, flux nerveux, flux liquide, pulsions des désirs, intentions cérébrales, etc., combinés aux mouvements du contexte extérieur : agitation/calme des auditeurs, mouvements inattendus, mouvements électriques, mécaniques, du vent en extérieur, de l'eau, etc., qui ensemble forment une composition rythmique de notre horloge biologique [1]. C'est le socle du rythme appliqué au chant (a tempo = sans tempo), mais qui est aussi applicable à la danse : LE MEME POUR SOI, LE DIFFERENT POUR TOUS, LE DIFFERENT POUR SOI.

rythmes mécaniques -=-> LE MEME POUR TOUS
rythmes élastiques, hésitatoires -=-> LE MEME POUR SOI, LE DIFFERENT POUR TOUS, LE DIFFERENT POUR SOI

Notre théorie classique de la musique écrit le rythme mécanique (elle date des premiers automates du XVIIIe siècle), mais n'est pas encore parvenue à écrire les rythmes biologiques (un rythme biologique n'est jamais isolé, ils sont toujours plusieurs). La difficulté de l'écriture des rythmes biologiques réside dans le fait de leur multiplicité et de leur imprévisibilité ; à moins que chacun ait un « contrôle absolu » de tous les individus rythmiques de son corps et du contexte dans lequel chacun se comporte rétroactivement. Ce « contrôle absolu » [2] est inutile, car il ne contrôle rien : il met sous tension qui rend le « contrôle absolu » impossible, par contre, l'écoute de soi et du contexte développe un jeu instrumental exceptionnel (mais peu de musiciens le pratique) : l'écoute autrement dit l'attention concentrée vibratoire se branche directement sur les muscles sans passer par la conscience qui met un certain temps à réagir.

 

Comment composer (prévoir) les rythmes biologiques pour un ensemble de musiciens ?

Il existe plusieurs approches méthodées :

1. l'imposition
2. la suggestion
3. la proposition

A partir de l'écriture (graphie) que j'ai nommée « ondale » en 1982 (voir Ourdission), de la forme :

exemple : écriture ondale rythme proportionnel
ceci n'est pas un rythme, mais une schizographie possible (hors contexte) de biorythmes

où chaque repère (tige verticale) se positionne (en proportion visible) à un changement de direction (ou pas, c'est selon la musique)

1. Avec l'imposition, le musicien exécute (obéit) -> il échange sa personnalité contre celle du compositeur
2. Avec la suggestion, le musicien interprète -> il impose sa personnalité à celle du compositeur (je pense à Glen Gould)
3. Avec la proposition, le musicien intègre -> il fusionne sa personnalité avec celle du compositeur qui donne une autre personnalité issue de cette union.

A chacune et chacun ensuite de naviguer dans ces 3 comportements rythmiques selon l'intention, l'humeur ou l'état d'esprit de la musique.

 

Exemples

Avec « Tension » (1982) pour (2 solistes ou 2 groupes de) cordes, percussions et cascadeuse, j'avais choisi l'imposition pour extraire de l'ensemble une musique impitoyable : situation extrême imposée au corps où les rythmes des contractions musculaires, des respirations, des jeux instrumentaux sont imposés et où les battements des coeurs et les sons émis par les mouvements des 3 corps (chaque musicienne est habillée d'une combinaison sonique en calque, polypropylène, aluminium, papiers secs, etc., aux sonorités craquantes) forment le contexte rythmique rétroactif sur les musiciennes. Le gros gros plan vidéo en triptyque des visages immobilisés accentue cette sensation infernale qui se résout dans l'échappement de hurlements, puis dans la paix.

Avec « Il m'est impossible... » (1983) pour guitare classique et bâton archet, j'avais choisi la proposition, car le musicien, pour faire jaillir la musique, ne peut pas faire autrement que de fusionner ses rythmes avec les vibrations (flux rythmiques) de son instrument et forme une symbiose qui navigue d'elle-même.

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Marquer l’identification d'états différents constitue le rythme

Il n'y a pas de rythme quand un état ne change pas, ou que ses changements soient imperceptibles et donc inidentifiables. Pour qu'il y ait rythme, la différence est une nécessité. Le rythme marque les changements dans la permanence.

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LE RYTHME ELASTIQUE

L'idée du rythme élastique est née pour la musique des Ephémérôdes Cardent des Chrônes en 1984. Le principe est qu'un groupe d'évènements (notes, en musique classique) ne reste pas en place.

1. avec une résistance qui limite la distance de déplacement qui rebondit autour d'un foyer central
2. sans résistance qui ne limite aucun déplacement ni positionnement dans le temps

Exemple :

groupe de 5 évènements (symbolisés par un même point : la limite du solfège classique) qui ne reste pas en place (mais fixé par le graphique). Ici, nous atteignons la limite de l'écriture graphique pour la musique :

exemple d'un rythme élastique à 5 valeurs

1. La limite du rythme élastique résistant va de la superposition des évènements du groupe (élastique en état de détente) jusqu'à la limite de l'impression du dégroupement, cette limite est culturelle (élastique à la limite de la cassure).

2. Un rythme élastique sans résistance est infini : au-delà de la superposition et au-delà du détachement (d'évènements déliés).

L'intérêt du rythme élastique infini est le repositionnement permanent du groupe localisé et toujours progressivement : par son élasticité. « Les notes bougent tout le temps dans le temps » à des vitesses différentes qui changent sans arrêt pour chaque note-évènement.

Si l'on applique un rythme élastique à une mélodie, le groupe de notes qui forme la mélodie par leur déplacement temporel va donner :

1. un rythme modifié à chaque fois, et
2. une disposition différente des notes dans le groupe ou pas (c'est selon) à chaque fois.

« Chaque fois » implique la répétition (différente du groupe de notes).

Exemple FIGE DANS UN CLICHE :

voici une disposition typique de mélodie de chansonnette (avec 3 hauteurs et 11 notes) dans la « régularité » mécanique d'une horloge à 2 valeurs : une brève 1 et une longue 2 (qui double la brève) :

mélodie de chansonnette à 3 hauteurs 2 valeurs de durée et 11 notes

Dans le contexte du rythme élastique résistant, nous avons cette possibilité de variation :

le rythme de la chansonette élastifié

La mobilité permanente des durées du rythme se comprend dans la répétition du groupe dont chaque évènement a sa localisation changée.

Suivi & capture de l'élasticité rythmique

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LA PRATIQUE DU RYTHME ELASTIQUE DEVELOPPE UN ETAT D'ESPRIT DU MOUVEMENT INFINI

 

 

LE RYTHME HESITATOIRE

Le geste hésitant par la dogmatique évaluation de « l'excellence musicale » (sic) est considéré comme une « faute », d'un musicien ne sachant pas jouer. L'incertitude qui dans nos sociétés offensives représente la faiblesse (sic) est bannie. « L'excellence musicale » (du combattant qui ne doute pas) recherchée par nos sociétés autoritaires et hiérarchiques pour la compétition guerrière artistique entre nations, situe l'excellence dans la virtuosité : virtuosité signifiant dans ce désir : « jouer très vite régulièrement » (comme une machine, que l'être humain sans entrainement intensif ne peut accéder) tant + vers l'idéologie compétitive du sport que vers la musique. La virtuosité est considérée comme un privilège bien que la racine du mot virtuose se situe dans la vertu (qualités qu'un humain doit posséder) et non dans la démonstration spectaculaire mécanique, objet d'acclamation et d'idôlation. Une des qualités de la vertu est la discrétion que ne retient pas le musicien-virtuose en demande de gloire.

Aujourd'hui, les séquenceurs (dans la machine numérique) font ce travail mieux qu'un humain voulant imiter la machine. L'invasion des machines dans notre quotidien et dans la musique donne la possibilité de réaliser des musiques injouables par les musiciens humains : l'intéressant des machines. Par contre, ce qui est intéressant (que je défends depuis l'arrivée des ordinateurs en musique) est que l'ordinateur ne peut en aucun cas jouer un rythme hésitatoire qui mixe et inattendu et ultrasensibilité humaine. Le premier exemple de rythme hésitatoire flagrant est réalisé par Jimi Hendrix avec Pali Gap dans son album Rainbow Bridge enregistré en 1970 entre autres. L'hésitation retarde le tempo (la vitesse) que l'assurance (ou la gourmandise) accélère (qui favorise la chute) et que la surprise rend imprévisible. Non, la virtuosité instrumentale ne réside pas dans la rapidité gestuelle copiant les machines, mais dans la capacité de : confirmer musicalement toute sa gestualité dans la souplesse de son assurance jusque dans l'hésitation, jusqu'à la limite des gestes impossibles obtenant l'hypergestualité jouant l'injouable (état de grâce) qui en état de conscience raisonnée est impossible, la conscience ralentit la communication entre le geste et le sensible (le temps de réfléchir prend un certain temps qui empêche l'immédiateté), et interdit le jeu instrumental de cet état d'exception du sens profond de l'instant accessible à tout le monde, mais malheureusement enseigné à être interdit dans les conservatoires de musique.

Le rythme hésitatoire rejoint la manière de jouer l'instrument (le style de l'interprète dans la matière vibratoire) qui paraît absurde de noter ou de notifier dans une composition musicale pour la simple raison que ça ne se commande pas, mais se cultive et apparait dans un contexte propice particulier. Mais cet état hésitatoire hypersensible peut se désirer et donc intentionnellement être joué. Dans notre duo avec Bertrand Fraysse, le geste hésitatoire créateur de rythmes insimplifiables est quasi-permanent qui s'inclut dans les quasi-régularités qui peuvent être perçues qui créent la sensibilité allant jusqu'au sublime de la musique du SECRET.

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LA BATTUE IRREGULIERE

La musique se base sur une pulsation irrégulière

En basant la musique sur une battue irrégulière (une horloge à la vitesse variable à la variabilité variable qui permet l'imprévisibilité, la surprise) et essayer à partir de cette irrégularité fondamentale de jouer une régularité, c'est à ce moment qu'on comprend l'irrégularité nécessaire de la régularité qui prouve le vivant (contrairement aux machines). La musique de la battue irrégulière n'est pas une musique a tempo, un chant sans battue, mais bien une forte pulsation à battue inattendue. L'objectif à atteindre change radicalement : il ne s'agit plus de s'éduquer à la régularité mécanique, mais à composer une quasi-régularité (sachant que la régularité absolue n'existe pas) sur une fondation imprédictible donne une représentation de la musique moins obtuse. Le principe du jeu musical repose et s'épanouit à partir de cette racine conceptuelle : un ensemble de pulsations irrégulières sur lesquelles l'entrainement de la musique n'est pas régulier. L'exercice est en effet + difficile, mais offre une + grande ouverture d'esprit.

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Notes
[1] Notre contexte intérieur (monde) de notre corps n'est jamais détaché du contexte (monde) extérieur à notre corps : ils interagissent en permanence.
[2] La doctrine du « contrôle absolu » est une arrogance qui ne veut rien laisser au hasard. C'est une appropriation totale et illusoire d'une nature autonome dont il est appliqué une dictature avec l'outil de la mesure qui ordonne à travers le chiffre exact. Malheureusement, il n'y a que le chiffre qui est exact (quand il est entier et pas trop grand) et pas ce qui « doit » représenter son exactitude. La dictature déterministe est vaine, car elle ne tient pas compte de la distance entre la représentation (le chiffrage) le représentant (ce qui est) et le représenté (de ce qui est).

 

 

en attendant les glissement vibratoires du rythme : saut vers le sens de l'amplification

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