les instruments classiques,

ces inconnus...

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Composer pour un instrument de musique, signifie (a priori) connaître cet instrument de musique. Et mieux, avoir essayé de le jouer et mieux, le jouer sans effort avec l'idée de l'explorer (tenter ce qui n'a jamais été fait). La connaissance physique nécessaire de la pratique. Le jeu instrumental compositeur ouvre les portes à l'exploration sonique et permet de comprendre et d'approfondir comment et pourquoi un instrument de musique a été conçu ainsi et pas autrement. La connaissance instrumentale permet d'extraire les spécificités instrumentales et produire dans ce sens des écritures pour des musiques originales [1].

L'idéologie dominante de l'écriture usuelle de la musique classique a permis : d'appliquer une même intention à des instruments différents : une même « note » pour tous. Une même écriture pour tous. Une synthèse de la différence. L'idéologie politique dominante de la musique romantique était la massivité dans l'union des différences. L'écriture classique ne met pas en valeur les spécificités de chaque instrument de musique. Son rôle, au contraire est de créer une « fusion » avec des différences : un unisson. L'unisson est la fusion des différences dans l'octave. Le comble de l'idéologie de la « musique classique » est l'unisson instrumental de l'orchestre symphonique massif (regroupé visible au centre) dirigé à la baguette du chef (obéissance synonyme d'harmonie). On imagine bien les partitions qui peuvent se déduirent (du général au particulier) ou s'induirent (du particulier au général) aujourd'hui à partir de cette idéologie.

En France, l'étude des instruments de musique (pas l'instrumentation qui consiste plus à appliquer à un instrument une écriture mélodique et/ou harmonique globalisée dans la note) pour le compositeur est pratiquement inexistante. Les traités d'orchestration dates du XIXe siècle et le plus récent : le Casella Mortari « La technique de l'orchestre contemporain » date de 1958. Heureusement à partir des années 60, Emile Leipp dans son laboratoire d'acoustique à Paris VI Jussieu, a commencé à étudier les instruments de musique du point de vue scientifique (qui ne sert que l'idéologie de vouloir comprendre et non servir la théorie musicale du solfège « classique »), un grand apport pour la connaissance instrumentale (sans relève, sauf quelques études éparses) [2]. L'apport massif de l'invention instrumentale dans les années 80 initiées dans les années 60 (je pense entre autres à Mauricio Kagel, Dieter Schnebel ou Josef Anton Riedl) débouche au XXIe siècle à l'invention instrumentale en voie de généralisation voire de banalisation [3]. Ceci est dû à la libération instrumentale de la musique expérimentale chassée et marginalisée de la musique contemporaine classique (du réseau des conservatoires de musique). L'inventivité « underground » des années 80 explose au XXIe siècle grâce à Internet. Et la « musique contemporaine » reste attachée à la pratique de la musique classique : c'est en quelque sorte une régression (le mélange d'une écriture sérielle des années 50 avec une écriture tonale du romantisme classique donne la musique contemporaine d'aujourd'hui au XXIe siècle).

Le solfège classique, par son fondement abstrait, est détaché de la spécificité instrumentale. Un hautbois sera traité plus ou moins comme un violon [4], avec des notes. La persistance de la vision classique-romantique (l'âge d'or industriel) de la musique savante est l'obstacle majeur à l'épanouissement de la musique des compositeurs vivants à la recherche d'originalités (exploration dans l'inouï). L'évolution de la théorie musicale permettra l'évolution des états d'esprit (c'est ce que s'attache à faire ce livre).

Les instruments de musique ne viennent pas de nulle part. Comme tout, ils sont le résultat d'une évolution, d'une histoire, où chaque instrument est un repère marque de manière de faire de cet espace-temps. Une évolution gouvernée par un idéal de perfection. Aujourd'hui, cet idéal instrumental coûte cher, et le compositeur vivant ne peut composer pour des instruments inaccessibles financièrement dont les musiciens qui les pratiquent se figent dans une technique historique obsolète. Les instruments de musique perfectionnés sont hors de prix pour une extraction de sa tradition : une paire de timbales coûte environ 10 000 € ou une grosse caisse symphonique coûte 1500 € sans compter l'espace nécessaire au stockage pour le travail, un clavecin baroque du XVIIIe (à la sonorité délicate) à partir de 10 000 € ou classique du XXe (plus puissant) initié par Wanda Landowska avec le clavecin Pleyel (30 000 €) et plus tard dans une autre direction par Elisabeth Chojnacka virtuose qui se dédie à la musique savante vivante du XXe siècle, n'a plus de prix. Comme des instruments uniques qui rencontrent la spéculation financière de la rareté : un Stradivarius ou un EMS Synthi 100 est inaccessible à la musique de compositeurs vivants [5]. Dans les années 70, de rares talents virtuoses consacrés à la musique contemporaine comme : Cathy Berberian (sans qui Luciano Berio n'aurait jamais composé ses oeuvres magistrales pour voix), Sylvio Gualda (percussion), Pierre-Yves Artaud (flûtes), et tant d'autres, permettaient l'accès à des instruments et à leurs jeux qu'aucun autre moyen ne permettait. Mais le virtuose impose sa technique par sa notoriété [6]. La fin du XXe siècle a constaté l'apparition des instruments électroniques : les synthétiseurs évoluant depuis le début du siècle et à la fin des années 80 du sampler (francisé en « échantillonneur ») qui permet d'utiliser l'enregistrement audio comme instrument de musique. Une « photosonique » qui permet le photomontage : une autre manière de la composition mnémonique. Les instruments mythiques sont aujourd'hui « photophoniés » pour simuler l'orchestre symphonique classique hors de prix et utilisé très abondamment par le cinéma.

Les instruments de musique classique (romantique) ont été homogénéisés dans la « note » de la théorie tonale : ce qui a permis de les fusionner avec dans l'orchestre, mais qui a en même temps a effacé leurs particularités individuelles (et non identitaires qui permet de les différencier). Depuis plus d'un siècle, la théorie tonale, toujours en activité, est devenue obsolète ; cela à partir du dodécaphonisme d'Arnold Schönberg et du « bruitisme » d'Edgar Varèse. Mais les instruments de musique sont toujours et encore écrits avec des « notes » au XXIe siècle.

Il existe 2 manières d'accéder un instrument de musique classique : 1. par les notes et 2. par l'instrument. L'accès de l'instrument par les notes réduit l'approche exploratoire à l'interprétation de l'ensemble des notes de la partition. L'accès de l'instrument par l'instrument (sa découverte) permet d'autres approches en fonction de son intérêt : l'exploration de jeux particuliers et différents de ce qui est demandé dans les partitions classiques avec des notes. L'un se complait dans la répétition (pour la compétition), l'autre se passionne pour la différence (le son : le jeu pour la sensation des vibrations particulières). Il est possible de remettre en question toute la technique instrumentale de l'instrument classique : de la position (sa tenue) jusqu'à l'émission de sons considérés comme bon ou mauvais. Aujourd'hui, après l'exploration du free jazz et de la musique contemporaine de la seconde moitié du XXe siècle des instruments de musique classique, il n'existe plus de sons bons ou mauvais de l'instrument, mais seulement une intention de jeu concernée ou pas. Un jeu non concerné est un jeu qui ne joue pas et révèle une musique désintéressée ou plutôt d'une émission sonore sans intention du musicien (et génère l'ennui). Malgré les inconvénients de l'instrument classique (cherté, calibrage pour le jeu de notes stables dans une échelle unique de 12 1/2 tons divisant l'octave, multiplication du même instrument par l'industrie (même sonorité), large production d'instruments médiocres (bâclés) justifiés par leur bas prix, etc.), il est possible de mettre à jour ses particularités, même avec les instruments médiocres. Mais cela demande de la part du musicien une ouverture d'esprit et de l'inventivité. L'instrument de musique est le contexte avec lequel le musicien va négocier une approche de jeu qui lui est propre en mettant en évidence les particularités de l'instrument en développant sa propre technique de jeu. Rien de pire que d'apprendre à jouer d'un instrument avec les méthodes conservatrices d'une tradition bêtifiante et contraignante (méthode Rose pour le piano, méthode Agostini pour la batterie, etc., voire douloureuse). L'apprentissage classique d'un instrument de musique scelle et ferme toute possibilité d'inventivité (sachant que les professeurs de musique sont souvent des musiciens ratés qui se vengent sur les élèves en leur faisant subir l'inaccessibilité instrumentale par la contrainte : ce qui en soi est antimusical).

 

Exploration des instruments classiques et traditionnels

Explorer dans ce qui est connu revient à rechercher les particularités de ce qu'un instrument de musique peut proposer. C'est un aller-retour entre l'intention du musicien qui va particulariser l'émission pour obtenir un résultat inouï. Pour cela, ouvrir une brèche dans l'académisme, presque tous les musiciens originaux se basent sur l'apprivoisement de l'erreur (ou considéré comme telle dans le jeu académique). Ou : faire ce qu'il ne faut pas faire. Ou : s'étonner soi-même en cultivant l'inattendu. Ces 3 méthodes sont des outils qui permettent de transgresser l'usuel qui en musique est une régression. L'usuel (contrairement à l'idée reçue) ne se parfait pas, il se répète suivant le niveau d'exigence de la génération en cours et ce niveau d'exigence, malgré une compétitivité plus agressive, diminue par l'usualité de sa répétition (l'usure). Il n'y a pas aujourd'hui plus de virtuoses qu'à l'époque romantique même quand l'Europe était moins peuplée.

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Notes
[1] Dans les années 80, la découverte et la généralisation des « multiphoniques » joués aux instruments de musique classique manifestaient le désir de s'échapper de la dictature de la note unique : un « multiphonique instrumental » est un « complexe de notes » : une détection d'un accord souvent « inharmonique » : qui ne rentre pas dans le système tonal et qui est considéré dans la musique classique comme du « bruit ou une erreur de jeu » (sic). Le jeu multiphonique a été découvert par les musiciens du Free-jazz dans les années 70 dont le saxophone est le maître instrument. La systématisation du jeu multiphonique dans un catalogage (je pense à Daniel Kientzy pour le saxophone) sans support théorique (de sens) n'a pas favorisé son évolution compositionnelle. Aussi, l'instabilité du multiphonique confrontée à l'écriture mécanique classique dictationnelle, ne peut pas s'entendre. Les deux concepts sont trop opposés.
[2] Il est à noter que la « musique spectrale » de Gérard Grisey n'aurait jamais vu le jour sans l'apport d'Emile Leipp. « Acoustique et musique » reste encore au XXIe siècle la « bible » du compositeur. On peut espérer que les 115 bulletins du GAM (Groupe d'Acoustique Musicale d'Emile Leipp de 1963 à 1987) seront disponibles en libre accès sur Internet (en 2012, seul 2 numéros sont disponibles : http://www.lam.jussieu.fr/BulletinsGAM.php).
[3] les sites dédiés sur Internet foisonnent pour construire ses propres instruments de musique originaux. Et la tendance DIY (Do It Yourself = fais-le toi-même) prend de l'ampleur en réaction entre autres à la hausse des coûts pour l'acquisition d'un instrument de musique(ou la baisse des moyens financiers). Aussi l'industrie de l'instrument de musique favorise sa banalisation : l'homogénéisation culturelle. La lampe archisonique date de 1980, l'arco guitare couchée date de 1983, le PVC-sax date de 1986, la guitare électrique détonée date de 1987, etc.
[4] La hiérarchie dans l'orchestre symphonique n'est pas un mythe. Les cordes (violon puis alto puis violoncelle puis enfin la contrebasse) sont les instruments dominants de l'orchestre symphonique, les autres font office de coloration. Le premier violon, est bien un violon et jamais un hautbois ou une trompette. Edgar Varèse dans ses partitions est l'un des premiers compositeurs à contrarier cette hiérarchie dans l'orchestre. Il remet les cordes à sa place comme les autres et favorise les cuivres et les percussions qui dans l'orchestre romantique ne servent qu'au soutien et à colorer la masse des cordes. La hiérarchie des cordes se retrouve aussi dans la constitution de la section des cordes : il y a 10 violons en général pour une contrebasse qui pour la musique du XXe siècle et du XXIe siècle est hors de propos. Voici pour exemple la constitution de l'orchestre de chambre de Toulouse (2012) pour 12 cordes : 7 violons, 2 altos, 2 violoncelles, 1 contrebasse. Un tutti des 7 violons assurément couvre complètement un tutti des 2 altos.
[5] les pools d'instruments restent la seule solution, mais n'existe pas sur le territoire : à part un pool à Paris pour l'orchestre de Radio France (voir les magasins d'instruments de musique, dans ce même livre).
[6] Pierre-Yves Artaud que j'ai côtoyé, n'a jamais joué Ourdission qui pourtant lui était destiné, montre la limite de l'expression de la musique dans la virtuosité.

 

Le « grand public » et la musique
Au XXIe siècle, le grand public est estimé inculte en musique : la musique savante s'arrête au XIXe siècle. Comme les bâtiments de l'opéra et des philharmonies pour les orchestres symphoniques romantiques. Les révolutions musicales du XXe siècle sont ignorées (avec son architecture) et les compositeurs au XXIe siècle n'existent pas.

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Les instruments de musique câblés et la suite instrumentale en cours

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